Ce fut les premiers mots qui franchirent les lèvres de Mairu, alors qu'elle se redressait brusquement dans son lit après des dizaines de minutes d'inconscience. On l'avait transportée jusqu'à chez elle pendant qu'elle était évanouie.
" - Il est en train de manger … et de boire. Resté sous forme de statue si longtemps semble lui avoir donné faim et surtout très soif … Vu la quantité d'alcool qu'il doit surement en train de descendre, je vous déconseille d'aller le voir aujourd'hui, Mairu-sama ! "
Les mains de Mairu se crispèrent sur le drap qui couvrait le bas de son corps alors que, la tête baissée, son regard s'assombrit soudain. Sa vive joie de retrouver son cousin, qu'elle croyait perdu à tout jamais, s'était soudain transformé en une profonde tristesse. Elle n'avait qu'une envie, celle de se serrer contre Shuuhei mais, lui, semblait préféré se soûler plutôt que de la voir. Elle avait espéré le retrouver à ses côtés à son réveil mais il avait préféré l'alcool comme compagnie. Le connaissant, Mairu pensait même qu'il allait certainement réclamé des femmes afin de fêter son retour parmi les vivants à sa convenance.
Shuuhei était sans doute l'être que Mairu admirait le plus ici bas et ce, tout en reconnaissant qu'il était loin d'être un homme parfait. En grandissant, la jeune femme avait pris conscience que le cousin qu'elle idolâtrait possédait plein de qualités mais qu'il était aussi bourré de défauts. Et pourtant, cela ne l'avait pas empêché de continuer de l'aimer. Et pourtant, son cœur se serrait de savoir qu'il était à côté et si loin d'elle à la fois.
" - Ne soyez pas donc si triste. Vous vous retrouverez très bientôt."
La jeune fille qui avait veillé sur elle durant son inconscience tentait de la rassurer mais Mairu ne daigna même pas la regarder. Comprenant qu'elle ne pouvait rien faire et, craignant surtout que l'autre personnalité de la Heidan ne se réveille sous l'effet du chagrin, celle-ci préféra s'éclipser tout doucement alors que Mairu continuait de fixer un point invisible sur son drap …
La cloison coulissante de la pièce dans laquelle se trouvait Mairu sauta aussitôt, ou plutôt s’envola pour aller se cracher contre le mur du fond ! La lumière des couloirs éclaira alors une pièce ténébreuse et une ombre se dessina tout juste au seuil de la pièce. Enfin… Pas qu’une seule. Une dizaine au moins ! Planté comme un piquet devant sa chambre, j’avais avec moi huit ou neuf petits Metaru qui s’étaient accrochés à mon corps comme des koalas, déterminés à ne pas me lâcher la grappe maintenant que j’étais apparemment revenu des morts. Pour ma part, j’avais un air totalement amusé. On pouvait pas trop en vouloir à ces petits chérubins. D’ailleurs, ils n’avaient pas été les seuls à vouloir accaparer toute mon attention…
- « 5 minutes que la vieille m’a annoncé que t’étais debout et j’te voyais pas venir ! T’avais honte de me refaire face ou quoi ? »
J’eus un rire gras sur le coup, avant de rentrer dans la pièce comme si de rien était et ce malgré les charges humaines que je me coltinais. C’était pas quelques kilogrammes qui allaient me clouer sur place, même après deux ans dans le coma de ce que j’avais compris. Je finis par m’asseoir tout juste devant le futon de Mairu qui semblait ne pas encore réaliser ce qui se passait, même si les éclats de rire des gosses scotchés contre moi devaient vriller ses tympans. Comme une seconde nature, je posai la grosse bouteille de saké que j’avais ramené avec moi, puis je m’essayai à un jutsu des plus basiques : le clonage. Fort heureusement, mon initiative eut du succès et mon clone récupéra mes gosses avant de s’en aller avec eux, finalement.
- « Allez, viens dans mes bras mon p’tit chaton… »
C’est tout sourire que je tendis mes bras vers la jeune femme. Si j’avais porté un hakama, j’étais néanmoins toujours torse-nu avec un gros bandage tâché de sang qu’elle pouvait remarquer autour de mon épaule gauche. L’œuvre de Raizen pour s’assurer que je n’étais pas l’un de ces fameux morts-vivants qui revenaient hanter les siens ; ce qu’elle ne saurait que bien plus tard, puisque c’était pas encore très important sur le moment. Toujours est-il que je m’attendais à ce qu’elle saute sur moi pour la câliner comme j’en avais l’habitude par le passé ! Elle avait été la petite sœur que Reiko n’avait jamais vraiment été pour moi et il n’y avait qu’à voir à ma tronche d’imbécile heureux comment je mourrais de rattraper le temps perdu !
Face au boucan, Mairu ne broncha d'un iota. La porte de la pièce qui vola, soulevant un courant d'air qui fit danser ses mèches violacées, les gamins qui criaient de joie accrochés à Shuuhei, les paroles de ce dernier. Tout paraissait si lointain pour la Metaru aux yeux dorés qui était plongée comme dans un état second.
Gardant la tête baissée qu'elle ne daigna même pas relever même à l'approche de son cousin préféré. Murer dans un silence mortuaire, la jeune femme était en réalité en proie à une rage qui ne demandait qu'à déferler.
C'était en pressentant le danger se pointer que la Metaru chargée de la surveiller était partie si hâtivement. Était-ce parce que Shuuhei avait également senti l'éveil de l'autre qu'il était finalement venu à la rencontre de sa cousine pour tenter de la consoler ? Si tel était le cas alors il se montrait bien impudent. Il savait pourtant que l'autre pourrait s'en prendre à lui alors se rapprocher si près était s'exposer au danger. Peut-être pensait-il qu'il n'était pas encore trop tard. Qu'il était encore temps d'éviter le réveil mais en réalité, il était déjà trop tard. La tristesse avait déjà fait son travail : l'autre était déjà là.
Un coup de poing vint s'abattre violemment sur Shuuhei, à l'endroit même où il était blessé.
" - Tu crois vraiment que je vais te sauter dans les bras ? Retourne donc picoler et roucouler dans les bras des filles de joie ! Et restes-y tant que tu y es ! "
Le timbre était dénué de tristesse et était bien acariâtre.
Fixant à présent son cousin d'un regard où vacillait une lueur de colère, la nouvelle Dame de Fer pointa un doigt vers la sortie. La tristesse semblait avoir déserté la Heidan, cédant sa place à une colère noire.
" - Sors d'ici immédiatement !"
Le fait qu'elle proposait une porte de sortie, un échappatoire à sa cible, prouvait que la créature ne tenait pas à tuer cette dernière. En vérité, elle désirait la même chose que l'autre elle qui s'était effacée mais Shuuhei le saura-t-il ? Saura-t-il deviner ce qu'il devait faire pour ne pas envenimer la situation ? …
Dire que je ne l’avais pas senti passer serait un gros mensonge, vraiment. C’était le risque lorsque sa vraie personnalité tournait casaque au profit de ce monstre venu de nulle part. Je mimai de fortes grimaces qui en disaient long, mais j’avais connu pire… Cependant, il fallait avouer que je ne l’avais vraiment pas vu venir… C’était la preuve que les deux années passées m’avaient fait du mal. Beaucoup de mal même. Même les gosses de son genre avaient réussi à atteindre voire même à surpasser mon niveau… Ou était-ce finalement moi qui avait énormément régressé ? Dans tous les cas, je ne faisais clairement pas le poids dans l'immédiat… D’autant plus qu’à peine réveillé, difficile de retrouver ses réflexions et sensations d’antan…
- « Dire que j’ai négocié avec Raizen pour rester au moins auprès de vous ce soir… Et voilà qu’à peine arrivé que tu débarques déjà… Mairu a été à ce point choquée de me revoir ? »
J’eus un petit rire pour tenter de détendre l’atmosphère alors que ma plaie s’était rouverte et que le sang imbibait salement tout le bandage qu’on m’avait fait. J’étais venu en connaissance de cause, sachant que la vioque m’avait dissuadé de m’approcher d’elle, mais ça avait été plus fort que moi. C’était d’ailleurs parce que je la savais imprévisible que j’avais décidé de faire partir les gosses avec mon clone, histoire qu’elle ne commette pas l’irréparable. Voilà bien un problème psychologique qu’elle se devait de dompter si elle voulait un jour tenir les rênes du clan comme Reiko avant elle. Un problème que j’aurai dû régler du temps de mon apogée. Avec ma force d’antan, il m’était facile de la canaliser, mais dorénavant…
- « Allez, viens me faire un câlin… »
Maintenant que je n’avais plus la puissance pour la calmer, il ne me restait plus que deux choses : Les mots et la douceur. Je doutai du fait de réussir du premier coup, mais peu importe. Il fallait bien que quelqu’un s'y essaye, heh. Et puis, mon amour pour cette gamine était incommensurable ; même si je devais avouer quelque part que ce côté sadique et violent qu’elle avait développé ne me déplaisait pas forcément, bien au contraire même. C’était d’ailleurs à cause de cette réalité que je n’avais pas foutu grand-chose dans le temps. En plus d’adorer cette personnalité borderline, je n’aurai de toute façon jamais pu imaginer perdre ma splendeur dans un combat. Comme quoi, tout pouvait arriver dans la vie…
Et me revoilà calé contre un mur entrain de lui tendre les bras une deuxième fois.
Les mots de Shuuhei parvinrent à toucher Mairu dont l'expression changea brusquement. La colère avait cédé sa place aux larmes que la jeune femme ne parvenait pas à contenir. Laissant son cœur se défaire de ce nœud qui l'avait maintenu si fermement au point de l'avoir fait souffrir, la Metaru laissait à présent ses sentiments la submerger complètement.
Si c'était la tristesse, un sentiment d'abandon de la part de cet être qu'elle aimait tant qui avait déclenché l'éveil de L'autre c'était le réconfort de la part de cette même personne que Mairu convoitait présentement. Sous son excès de violence, s'était caché en vérité le désir ardent de se sentir d'être toujours aimée par son cousin qu'elle avait cru avoir perdu pour toujours. Convoitise enfouie que Shuuhei avait su identifier. Du moins, le comportement de celui-ci était celui qu'il fallait adopter pour ne pas envenimer la situation. En effet, répondre à la violence de L'autre par la violence ne l'aurait certainement pas arrêté. A moins de réussir à la mettre en hors d'état de nuire. Chose que le Nidaine Raïkage n'aurait probablement pas réussi à faire dans son état actuel.
" - Shuuhei-san. "
La voix tremblante d'émotion, la Heidan se jeta dans les bras de son cousin. Enlaçant fermement cet être qui lui avait tant manqué et larmoyant telle une enfant, Mairu cherchait à se calmer mais vainement. Elle avait bien trop d'émotions à déverser.
" - Shuuhei-san, je suis vraiment désolée. Je ne voulais pas te faire mal ! Finit par lâcher la jeune femme après s'être un tantinet calmée. "
Libérant la taille de son cousin qu'elle avait ceinturée de ses bras fortement, la Heidan se détacha à contre cœur pour examiner la blessure de Shuuhei qui saignait abandonnement.
" - Il faudrait que tu retournes voir immédiatement un médecin. Tu veux que je t'accompagne ? "
Une proposition qui semblait si anodine et innocente mais en réalité la Metaru ne voulait pas quitter son cousin si tôt.
La culpabilité rongeait à présent Mairu. C'était toujours ainsi lorsqu'elle s'en prenait à ceux qu'elle aimait mais, malheureusement, c'était une chose inévitable lorsque L'autre se réveillait ...
- « C’est pas une petite hémorragie qui va entamer ma santé, ne t’inquiète pas ! D’ailleurs, je veux qu’on reste un peu ensemble, tous les deux, alors arrête de penser à une échappatoire ! »
Le saignement n’était pas un souci, vu que le sang ne coulait pas à flot. Mes bandages rougissaient certes et ça picotait un peu, mais c’était la preuve ultime que j’étais vivant et quelque part, bah ça me faisait plaisir. Qui plus est, trop bouger dans le coin forceraient surement les hommes de Raizen à vouloir me re-escorter je ne sais où. Quelle plaie quand même ! Ne pas pouvoir être libre dans sa propre demeure familiale était un comble dans un certain sens ! Enfin… J’étais sûr place et c’était là l’essentiel. Heureux coup du sort…
- « Au pire, tu me soignerais toi-même. C’est juste histoire de foutre un onguent sur ma plaie et me refaire mes bandages. Rien de bien difficile. Allez, en attendant, viens-là ! »
Sans me gêner une seule seconde, je l’attirai doucement auprès de moi avant de la prendre dans mes bras à mon tour. Cette proximité, cette chaleur, tout ça m’avait vraisemblablement manqué… Et terriblement aussi ! Il n’y avait rien de mieux que de se sentir vivant, en bonne santé et être proche des siens. La calant contre mon torse, je me surpris à me souvenir de ses jeunes années où elle venait quémander… Que dis-je ! Réclamer des câlins à son « nii-chan » adoré ! Elle avait été ce que Reiko n’était finalement jamais devenue :
La petite sœur idéale !
- « Et je sais que tu ne voulais pas me faire de mal. Je peux douter de tout le monde, sauf de toi… »
Et mes parents. Et Itagami. Et ma fille… Mais bon… C’était là les seules exceptions. J’eus un petit rire avant d’apposer mes lèvres sur son crane pour lui extirper un bisou, puis je me mis paisiblement à caresser sa belle chevelure de jais aux reflets violacés. J’aurai pu me mettre à siffler un air comme lorsque je le faisais pour l’aider à s’endormir, mais elle était devenue bien trop vieille pour ça. Du reste, j’étais même sûr qu’elle n’hésiterait pas à vouloir s’extirper de mon emprise, sans doute encore gênée par sa « crise » de tout à l’heure.
- « D’ailleurs, tu cognes sec ma p’tite dame ! C’est la preuve que tu as grandement évolué ! Ton futur époux aura du mouron à se faire ! »
Je marquai une courte pause, non sans rigoler légèrement, avant de l’asticoter encore un peu :
- « D’ailleurs, je suis sûr que tu dois avoir de nombreux prétendants maintenant, vu comment tu es plus belle que jamais ! »
Il fallait bien que je me venge un peu pour son coup précédent !