Depuis toujours, le guerrier tellurique s’était fait un point d’honneur à demeurer entier, honnête avec lui-même et étranger à toute hypocrisie. Cependant, certains défis qu’il avait récemment eu à surmonter avaient remis ce principe en cause et ce, sans même qu’il s’en rende vraiment compte. La prémisse de la révélation de ce changement arriva au milieu de la matinée ce jour-là, tandis que l’Oterashi terminait de collecter quelques heures de sommeil et se préparait à se rendre à l’hôpital pour l’un de ses fameux rendez-vous de suivi. Possédé par sa routine, il rejoignit machinalement le rez-de-chaussée du Dojo, saluant ses pairs en longeant le bord du point d’eau qui encerclait le grand arbre Ginko. Un bref instant, son regard épousa les ridules qui parcouraient la surface réfléchissante : il s’y aperçut, déformé, ombre d’un homme dont il avait perdu tant de traits caractéristiques.
L’esthétique de son corps n’avait jamais revêtu la moindre importance pour lui, mais quelque chose en lui à ce moment là tiqua sur ces bandages qui le recouvraient entièrement. Il n’y repensa pas d’abord, et se rendit à son rendez-vous. Comme de coutume, il s’installa dans la pièce aseptisée, laissant approcher l’eiseinin qui allait devoir s’atteler à la tâche, mais alors que celle-ci se positionnait pour desceller le premier bandage, Yanosa se raidit.
« Arrêtez. Apportez… Apportez un miroir. S’il vous plaît. »
L’eiseinin se figea et fit la moue, comprenant certainement où il voulait en venir. Puis, elle s’exécuta, flanquant un large miroir pivotant en face de l’Oterashi qui se mit alors à se dévisager.
« … Vous voulez que je vous laisse un moment ? - ...Non. Pas la peine. »
Méthodiquement, mais avec des gestes chargés d’appréhension, le guerrier de pierre s’affaira alors à enlever lui-même ses bandages, révélant peu à peu sous la lumière aveuglante de la pièce l’étendue de ses cicatrices. Beaucoup se chevauchaient, les plus récentes laissant encore clairement entrevoir leur fraîcheur, et de larges surfaces irrégulières aux teintes plus pâles trahissaient comme sur une carte les endroits où Aimi avait du opérer des greffes. Vint alors le moment fatidique, lorsque le guerrier calciné finit par dévoiler son visage et le contempla comme si il le voyait pour la première fois. L’instant s’étira et s’étira encore, jusqu’à sembler interminable tant pour lui que pour l’eiseinin, mais il rompit finalement le silence, sans pour autant quitter ses propres traits ravags du regard.
« ...Je veux pouvoir remettre mes bandages tout seul. C’est possible, vous pouvez m’apprendre ? »
Elle hocha deux fois la tête, compréhensive. Guéri, se dit-il alors qu’il suivait les consignes de la jeune femme, il ne le serait jamais vraiment. Ce visage et ce corps qui n’en étaient plus vraiment ne reparaîtraient plus aux yeux de qui que ce soit. C’est, en tout cas, la conviction qui l’habita pendant toute la séance et en ressortant.