Fin de journée, hiver 205 Aux abords de la Place de Kumo
Les bonnes gens, qui s'agglutinaient naguère aux devantures des échoppes et restaurants du centre du village, s'étaient raréfiées. Il n'était pas rare d'entrevoir la mine lasse des commerçants qui capitalisaient sur le pouvoir d'attraction de ce village caché sur les shinobis et ceux qui gravitaient autour de leurs activités. Les discussions entre ces propriétaires, pour qui les affres du chakra et de ses secrets étaient parfois étrangères, tournaient autour d'un seul et unique sujet : l'état d'alerte. En un sens, ils n'étaient pas si différents de leurs clients. Eux aussi s'inquiétaient, pour d'autres raisons, des récents évènements. La camaraderie se substitua alors plus que jamais à la méfiance ; un fléau ravageur, d'autant plus qu'il se répandait dans les rangs d'un organisme armé.
Là où la coopération et la diligence étaient les maîtres-mots menaçait de s'inviter une sorte de chasse aux sorcières fratricide.
« Quelle belle bande de guignols, se lamenta tout haut Sanekage. »
Jugement critique, ponctué d'un soupir ; le tout n'échappant guère aux quelques autres braves âmes qui s'étaient elles aussi décidées à supporter l'insécurité ambiante pour s'installer à la terrasse de l'une des auberges du centre-ville. Les regards s'égaraient sur la silhouette du sinistre bonhomme, masqué de surcroît. Débarrassé de son manteau encombrant en dépit des températures frisquettes, il laissait entrevoir son arme, suspendue au ceinturon auquel était noué son bandeau gravé des Nuages.
Si « suspect » se devait d'être illustré, on se serait inspiré de Sanekage. Peut-être même que certains observateurs songèrent, l'espace d'un instant, à appeler des renforts. Mais de ces regards parfois craintifs, le corbeau ne pouvait rien tirer ; il ne les croisait même pas, grâce à son casque.
Il attendait simplement sa commande, pour se réchauffer, et ravir ses papilles. Privé de l'un de ses sens, il comptait bien exalter au moins l'un de ceux qui restaient. Et comme pour accompagner le thé qui n'allait guère tarder à arriver, un chant se mit à bercer les environs.
Autant dire que dans le monde bien obscur du masqué, le chant noyait tout le reste, ce qui n'était pas forcément pour lui déplaire. Il évitait certes les endroits trop bruyants, mais s'accommodait avec plaisir des sons qui titillaient son sens le plus affûté ; il aimait même penser qu'il était, contrairement au badaud moyen, instinctivement doté de l'oreille musicale. Une sorte de gourmet des sons, comme il le dirait lui-même.
« T'as un problème, ducon ? tonna une voix grave, depuis l'une des tables voisines, interrompant la plénitude du samouraï. »
Visiblement, cela lui était adressé. En plus de le déranger, de lui arracher un sursaut qui pourrait bien passer pour une marque de crainte, on essayait de le provoquer. La tension était montée d'un cran : ce qui n'aurait pu être considéré que comme une pauvre rixe, quelques semaines plus tôt, sonnait comme l'amorce d'une nouvelle catastrophe aux oreilles des kumojins fraîchement marqués par l'explosion de l'un des leurs. Fort heureusement, Sanekage faisait partie de ces tueurs bien dressés, qui préféraient nourrir la rancoeur que la haine pure et débridée. Dans un autre contexte, il n'aurait pas hésité à faire valoir la loi du plus fort.
« Non, pardonnez-moi, soupira-t-il simplement. »
Une réaction qui anima les murmures autour de lui. Bien qu'il soit en mesure d'en saisir la teneur, il préféra s'en détourner ; il avait fait l'effort de s'abaisser une fois, et n'était guère certain de pouvoir mettre sa fierté de côté à nouveau. Le naturel revenait vite au galop, pour ce samouraï forcé de se conformer aux règles serviles des shinobis... le tout était de le tenir en laisse, comme il l'avait si bien fait jusque là.
Heureusement, il avait de quoi se distraire des persiflages de ses voisins de table : la voix de la chanteuse, qui n'avait cessé d'entonner son ode à la quiétude. De quoi lui rappeler de lointains souvenirs. Ils tiraient sur la corde de la nostalgie, mais avaient au moins comme vertu de calmer ses ardeurs, de chasser son aigreur.
Higure Onkyou, ou l'écho du crépuscule. Ce groupe de musiciens onkyotonka naissant sous les nuages foudroyants s'est fait connaître lors des duels contre les pirates au début de l'automne dernier. Parmi ses membres, une chanteuse. Une chanteuse allant de bar en bar afin de caresser le cœur de la clientèle après sa dure labeur de ninja. Minako, tout comme Ryuku, ont été des artistes de rue indépendant avant de former un duo, et au fil du temps, accueillir Ken dans leur petite équipe.
Ce soir-là, la demoiselle était seule et s'affairait à récolter des fonds pour rénover le dojo légué par son ancienne professeure. Le chant était la seule chose douce qui restait à la demoiselle qui s'enfermait peu à peu dans cette bulle de méfiance vis-à-vis du monde qui l'entoure. Sur scène,elle analyse toute la clientèle et, de l'intérieur, était prête à gueuler dès que l'un d'eux pouvait mettre la vie de civils en danger.
Le Nomiya no Raiun. Un petit bistrot dans lequel ce groupe du crépuscule y était un divertissement habituel. Parmi les clients, l'un d'eux semblait se démarquer au vu de son étrange accoutrement. Minako est passée à côté de lui, son oeil gauche entièrement noirâtre semblant l'analyser de manière instinctive, puis elle se pose devant le bar afin de demander une choppe de bière, l'une des rares boissons alcoolisée que la Banshee a l'habitude de consommer. Son apparence monstrueuse de par la légende des enfants aux yeux noirs, de sa brûlure au feu sur sa joue droite, ne laissait aucun doute sur le fait qu'elle soit une chanteuse relativement connue au sein de ce village de la Foudre. Si quelqu'un le voulait, il pourrait l'accoster sans problème quelconque, car elle se voulait proche de ses fans qui sont comme ses protégés. Par ailleurs tous la connaissent comme étant Banshi Minako, un nom faisant penser aux nombreuses légendes de yurei annonciatrices de la mort.
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