| Au milieu des ombres | Solo | Satetsu Nobusuke  Avatar © : Juuzou Suzuya - Tokyo Ghoul Expérience : 104
Messages : 168 Date d'inscription : 30/05/2018
 | | Lun 10 Sep 2018 - 18:26 | |  Il arrive que, à certains égards, la psychologie humaine se dévoile sous des nuances chaudes et froides, vives et macabres, grises et blanches, gorgées d'espoir et de fatalité. Cette valse colorée danse au rythme des aléas, d'une vie ballotée par le temps, par les tourments, par la grâce. Contre sa volonté, elle obéit à un ordre manichéen. Au milieu de ce tourbillon de la vie, l'esprit de l'homme cherche une destinée, une fin en soi, quand bien même cela fusse-t-il un sacrifice à prix coûtant. En vertu de quel droit cette asymétrie gouverne-t-elle l'homme ? La vérité, c'est qu'il est l'esclave des hormones du ciel et de la terre, enchaînées l'une à l'autre et entraînées par ces torrents déchaînés, jetant le cadavre de l'âme au fond d'un gouffre de hasards et de coïncidences qui, mis bout à bout, révèlent une sorte de course linéaire qui va dans le sens des choses. A l'évidence, force est de constater que tout n'est que confusion, et que l'homme avance au rythme de ses humeurs au milieu des ombres.
--- Tu es toujours avec nous ?
La question de son interlocuteur le tira de sa torpeur et ses idées s'évadèrent de sa tête comme de l'eau coulant à travers une passoire. Ses deux yeux noirs, perles ténébreuses arides de sentiments, s'immobilisèrent en se posant sur les deux autres qui tentaient de deviner quel caractère pouvait bien se murer derrière ce vitrail de l'âme. Face à face, le psychologue et son patient se toisèrent l'espace d'une fraction de seconde en dehors du temps et de la réalité. Le duel de ces deux regards plongés l'un dans l'autre, enchaînés contre leur gré, jeta un froid dans l'échange. L'ambiance déjà électrique qui régnait dans la pièce s'enlisa sur des positions campées qu'aucun des deux protagonistes ne comptait céder à l'autre, au risque de perdre du terrain.
Les deux hommes, à genoux sur de petites coussins, se tenaient seuls au centre de la pièce. Des lattes de bois emboîtées les unes au-dessus des autres les ceinturaient entre quatre murs, laissant passer quelques raies de lumières grâce à des plaques blanches laissant filtrer le soleil du dehors. L'isolement du petit spectre noir et de celui qui se voulait être son guide spirituel en même temps que son médecin de l'âme leur permettait de profiter d'un espace cloîtré propice à la confidence. Un monde à part au sein duquel tout appartenait au secret. Vêtu d'un costume aussi sombre que pouvait l'être son désir, il laissa quelques mots défiler entre ses lèvres.
--- Oui. Pardonnez mon manque d'attention. Vous disiez ?
Une espèce de rage monta en lui quand il vit son psychologue gribouiller quelque chose sur son calepin. Il savait ce que cela signifiait, compte tenu de l'habitude qu'il avait d'être suivi par ce dernier. Il en avait assez de tous ces entretiens qui sans cesse le condamnaient à un retour à la case départ. Il n'appréciait pas beaucoup celui qui se tenait en face de lui, aussi vrai qu'il avait toujours eu dans l'idée que toute la retenue dont il faisait preuve était commandée par ces lignes qu'il remplissait sur son cas. Il avait, d'une certaine manière, l'impudique sensation d'être dépouillé de son intimité, tel une crevette que l'on décortique pour en savourer la chair. Être ainsi dégusté par quelqu'un d'aussi répugnant que ce psychologue avait tout d'un véritable cauchemar, mais c'était le prix à payer pour poursuivre sa carrière de ninja.
Il commença, machinalement, à tirer sur les fils rouges qu'il avait cousu autour de ses joues. Un geste mécanique qu'il répétait en cas de stress. Un réflexe encore une fois bien connu de son psychologue qui, connaissant par coeur ce jeune patient, lut à travers ce TOC le malaise de son patient. L'occasion parfaite pour lui de creuser la situation et de passer la barrière de l'invulnérabilité : ce psychologue, vicieux comme un serpent, attaquait au moment où il constatait la faiblesse de son adversaire. Compétiteur dans sa nature, il en profita pour rebondir.
--- J'aimerais que vous me parliez un peu plus de votre rencontre avec cette jeune kunoichi, Anzu. Comment cela s'est-il déroulé ?
Le tic-tac mécanique de l'horloge continuait de battre en cadence, seule animation de cette pièce morose et dépourvue de vie. Sa rencontre avec Anzu n'avait, selon lui, rien à voir avec un entretien psychologique. Cet adulte voulait trop en savoir. C'était un monstre suceur de sang se nourrissant des travers des autres. Le vrai psychopathe, c'était lui.
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|  | | Satetsu Nobusuke  Avatar © : Juuzou Suzuya - Tokyo Ghoul Expérience : 104
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 | | Sam 15 Sep 2018 - 19:03 | | La question du psychologue était épouvantablement intimiste et réveillait chez son patient des cauchemars macabres. Le Satetsu se braqua aussitôt que ce dernier le somma d'en dire plus sur sa rencontre avec Anzu. Sur son visage d'ordinaire si neutre, on pouvait aisément lire le malaise, en même temps que le courroux. Si le psychologue ne bénéficiait pas d'une sorte d'immunité du fait que, notant tous ses rendez-vous, on pouvait immédiatement soupçonner Nobusuke en cas de disparition, il aurait probablement déjà été scalpé par son vis-à-vis. Mais il était trop malin pour ne pas avoir assuré sa propre sécurité grâce à des verrous psychologiques qu'il avait lui-même placé chez son patient par nombre de mises en gardes et par une manipulation qu'il avait camouflé en choisissant des mots très juste depuis quelques années maintenant. Il gouvernait Nobusuke. S'il le voulait, il pouvait même le conduire au suicide. Pour autant, il n'arrivait pas à détricoter la pensée de ce dernier, du moins pas si aisément. Son traumatisme était sévère, ses fautes étaient lourdes, ce qui n'avait fait qu'appesantir le poids de la culpabilité chez lui, provoquant un refoulement d'autant plus fort.
C'était un sujet particulièrement difficile.
Parmi tous les patients qu'il suivait, les ninjas faisaient partie des plus laborieux à traiter. Souvent, pour s'aguerrir, ils étaient éduqués à la rusticité, à la résistance psychologique, à l'analyse, à la négociation, à la diplomatie, et à un nombre conséquent d'autres obstacles à la psychanalyse. Si l'esprit de l'homme était, pour lui, une feuille de papier sur laquelle se dessinaient les lignes écrites par le sujet, il s'avérait que, s'agissant des ninjas, toutes ces lignes étaient raturées, gribouillées, tâchées d'encres. Parfois, elles étaient écrites de haut en bas, de droite à gauche, à l'envers. Ils était donc particulièrement difficile à déchiffrer. Mais Nobusuke, c'était encore pire. Non seulement il avait gribouillé toutes les lignes, transformé les mots, changé les règles d'écritures : mais en plus, son esprit était écrit en pattes de mouches. Il était discret, presque imperceptible. Il fallait le regarder avec une loupe. Il fallait le décortiquer, prendre le temps de bien discerner chaque lettre : on se rendait compte alors que toute cette psychologie n'était pas écrite avec de l'encre, mais avec des larmes. La raison pour laquelle il était si lugubre, si loufoque, si macabre, c'était à cause de ces chagrins qu'il étouffait sans cesse, à cause de ces faiblesses qu'il refusait de regarder en face. Il avait enterré tout cela dans un obscurantisme terrifiant, qui prenait la couleur ténébreuse de l'indifférence pour ne pas être sous la lumière de la souffrance.
C'était un être profondément fragile vivant au milieu des ombres.
Il aimait ce patient, aussi vrai qu'il avait refusé qu'on lui ôte. Alors que ce dernier fréquentait encore l'académie, on avait constaté que quelques pulsions morbides avaient encore entraînés le quidam à risquer certains actes proscrits : on avait diagnostiqué ses travers aussi simplement que ces derniers s'étaient manifestés. On avait pensé que, compte tenu de cette déviance psychologique, il était risqué de lui apprendre les arts ninjas. Qu'il pouvait devenir un véritable fléau. Qu'il fallait l'écarter de l'académie, des autres camarades, et qu'on tentasse de supprimer ses pouvoirs. Qu'on scelle une partie de son existence. Mais non. Lui, il croyait en lui. Il avait refusé de laisser Nobusuke tomber dans la disgrâce, poursuivre sa vie sur le route de l'errance. Il avait promis qu'il trouverait le moyen de remettre cet enfant sur le droit chemin, et que tant que cela n'arriverait pas, il continuerait les entretiens. Il continuerait de décortiquer le tortionnaire sadique. Il continuerait de croire en sa réussite. De croire à une perspective de réconciliation avec la conscience, l'honneur, la dignité.
Et puis, il y avait eu ce symbole. Nobusuke avait écrit cela sur une page de son carnet de vie. Un carnet sur lequel on trouvait des dessins, des gribouillages, quelques écrits parfois, et puis des noms. S'il était inquiet en lisant les termes "colères", "haine", "vengeance" après les termes "tournoi", "chuunin", "combats", il avait trouvé très surprenant le dessin d'un banc à côté du nom "Anzu". Ce signe n'était pas anodin. L'héritier Satetsu savait pertinemment qu'il lirait son bouquin. S'il avait écrit ce nom, c'était pour en parler. Alors, pourquoi cette réticence ?
--- Tu ne veux pas me dire ?
Il s'était renseigné sur cette dernière. Elle avait été promue depuis peu, et de tout ce qu'il avait soutirer comme information, il avait appris qu'elle avait participé avec lui au Spring Break. C'était une héritière du pouvoir des Sendai. Il ne savait rien de plus. Mais à la mine de Nobusuke, devant ce regard noir et plutôt intimidant, il devinait qu'il le prenait mal. Alors, il fallait creuser. Il y avait des réponses derrière cette menace. Il y avait l'humain caché derrière le monstre, ce qui rendait le monstre encore plus agressif. Peut-être ne fallait-il pas dépasser les limites, au fond. Mais c'était une trop belle opportunité pour la laisser passer sans réagir.
Il posa son crayon, et entrelaça ses doigts sur ses jambes. Il observa ces yeux gorgés de haine et de ténèbres. Il en avait peur, certes, mais il ne pouvait le montrer. Il savait que, d'une certaine manière, Nobusuke détestait l'idée d'être dépouillé de la sorte. Pourtant, il savait que c'était pour son bien. Alors il devait poursuivre, toujours plus audacieux.
Le silence demeura. Quelques secondes passèrent, comme des gouttes d'infini.
--- Je vois. Je ne te force pas. Je présume que c'est une histoire sans importance.
Conclût-il en mentant.
--- Dans ce cas, je t'invite à me parler de ta rancoeur. Je devine que tu voulais participer au tournoi.
Le petit spectre noir cessa de tirer sur son fil. Il s'immobilisa un instant, avant de répondre sur un ton plutôt sec et direct.
--- C'est à cause de vous que je n'ai pas pu y participer. C'est vous qui avez refusé ma candidature. J'aurais pu briller à ce tournoi, et montrer mon talent. Au lieu de cela, je continue ma routine dans le village. Je m'ennuie. Je n'ai rien à faire. Je vois tout le monde s'élever, et je stagne à cause de vos recommandations. Quand est-ce qu'on me fera enfin confiance ?
Ce discours était sincère et plein de sens. C'était chose rare. Il arrivait que Nobusuke montre une certaine sagacité lorsqu'il était frustré, et qu'il avait besoin d'exorciser certains tourments. Le psychologue devina qu'il devait s'expliquer, et que le jeune Satetsu ne laisserait pas cet acte de refus sans réponses. Il passa sa main dans ses cheveux, visiblement dérangé par la situation.
--- Je n'ai pas eu le choix. Tu sais très bien que tant que tu ne me fais pas confiance, je ne peux pas te faire confiance non plus. C'est réciproque. Tu risques de te discréditer, et de condamner toutes tes chances de devenir shinobi. C'est pourtant ton rêve, n'est-ce pas ?
Il acquiesça contre sa volonté, mais n'en gardait pas moins cette rancoeur au fond de lui. L'ambiance demeurait des plus électriques.
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|  | | Satetsu Nobusuke  Avatar © : Juuzou Suzuya - Tokyo Ghoul Expérience : 104
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 | | Mar 4 Déc 2018 - 20:07 | | Enfin, le psychologue termina de faire glisser son crayon sur les lignes de son calepin. Dans la sphère qu'il avait créé autour de lui et du sujet, une drôle de température les réchauffait tous deux, remplie de désirs, de doutes et d'anxiété. D'une certaine manière, la scène invitait deux antagonistes et deux associés, en deux hommes seulement : chacun des protagonistes jouait un double rôle, alchimie biscornue de confiance et de méfiance. A l'aune de cette comédie bancale, les deux hommes continuaient de s'observer l'un et l'autre, guettant l'instant propice. Lorsqu'on était psychologue, on choisissait une voie proche du danger : on chassait le mauvais esprit pour tenter de retrouver des bienveillances enfouies dans des têtes forgées par une raison disloquée. C'est par le biais de cette recherche profonde et pleine de chemins tordus que le baroudeur des esprits, en qualité de thérapeute, tentait de retrouver une âme égarée dans la folie. Cependant, en dépit de l'expérience, rien ne pouvait lui promettre qu'il ne puisse être, un jour, l'un de ces nomades dans la brume, et que cela ne s'exprimasse par un comportement des plus inexplicables et outranciers.
Finalement, les questions qu'il avait posé se retournaient presque contre lui. Qu'est-ce qui le rattachait tant à cette normalité qu'il tentait de mettre sur la route de tous ces détraqués spirituels qu'il suivait et analysait sans cesse ? Au fond, une obscure intimité s'était instauré entre lui et ceux qui lui servaient de client mais aussi, fallût-il le révéler, de compagnons. Il tuait sa solitude en étant le réceptacle des confidences. Il était le spectre de la folie se nourrissant de la cervelle des autres. On avait beau croire qu'il était du bon côté : en bifurquant de point de vue, on réalisait qu'il était aussi fou que les autres.
Nobusuke, pourtant, était à mille lieux de pouvoir se faire idée réelle sur la situation tragique vécue par son thérapeute. Cet homme-là, s'il agissait en patriarche auprès du petit spectre noir, n'était pas fondamentalement en redondance avec l'esprit matraqué du tortionnaire : le Satetsu s'était engouffré dans une démence bien plus abyssale que l'on ne pouvait l'espérer.
C'est la raison pour laquelle, par vagues successives, son psychologue lui avait exprimé des refus. Tout ce qui pouvait se rapprocher d'un affrontement officiel s'avérait être une occasion de plus de faire exploser le filtre qu'il avait réussi à loger dans la psychologie de son patient : qu'on déchire cette enveloppe de fer, et sa folie se déverserait dans un spectacle de chaos et de sang. Il était un meurtrier né. Cette mentalité s'était tellement ancrée depuis qu'il avait vécu ce traumatisme d'enfance qu'elle faisait désormais partie de lui, comme un fantôme cannibale hantant son corps. Sous le crâne de ce petit bonhomme, derrière tous les verrous de la science comportementale, il n'y avait que de la faim. Une faim insensible et intarissable, source de plaisir pour lui, et de tragédie pour ceux croiseraient sa route. Un sociopathe camouflé par des règles de bonne conduite.
C'est la conclusion qu'il tirait encore une fois en fermant son bouquin, et pourtant, quelque chose d'étrange le poussait à vouloir essayer. Jusqu'où irait-il, ce Nobusuke, si on le libérait de ses chaînes ? Comment agirait-il en situation de stress, privé de son sang-froid ? Il était tellement inconscient de la souffrance pour autrui comme pour lui-même que finalement, la mort n'était pas quelque chose qu'il craignait fondamentalement. Mais que pouvait-il craindre, dans ce cas ? Chaque a une peur, une phobie qui le malmène. En exorciste du coeur, il voulait savoir quelle était celle son patient.
--- Y a-t-il quelque chose qui t'aurait inquiété ou tracassé à part ça, dernièrement ?
Le jeune Nobusuke ne se creusa pas la tête très longtemps, car la réponse était toute simple.
--- Non.
Le psychologue acquiesça de la tête. Il avait saisi. La seule chose que craignait Nobusuke, c'était la relation humaine : du fait de son traumatisme, il avait peur de s'attacher de nouveau. Tel un ancien blessé de guerre ayant perdu tous ses amis, il tentait d'esquiver les marques de sympathie et de solidarité. Il voulait se préserver par la négligence volontaire. C'était compréhensible, et en même temps, très amusant.
--- Bien. Notre entretien est terminé, tu peux y aller. A bientôt.
Sans dire un mot, le spectre noir se leva et s'en alla, comme s'il n'était jamais venu : venu des ténèbres, il retournait au milieu des ombres.
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