Allongé sur le dos, Saji admire la lame de son épée qui brille alors qu’il la pivote au gré des rayons du soleil qui traverse sa chambre. Le rayon reflété redescend sur son torse nu et enfin touche son œil, provoquant par réflexe un mouvement de sa tête sur le côté. Il soupire. Les rideaux flottent à l’intérieur de sa chambre alors que le vent de l’hiver souffle. Encore une journée glaciale dans le village de la Brume. Il se lève et ferme la fenêtre, avant de se rasseoir sur son lit, l’air toujours pensif. Il repense à son entraînement, probablement la seule chose qui occupe son esprit depuis qu’il est arrivé ici. Il a eu l’occasion de combattre des adversaires en tous genres au Grand Dojo. Aujourd’hui, c’est probablement là qu’il va s’entraîner. Encore. Détectant une trace de sang sur le bout de sa lame, il saisit un chiffon sur sa table, pose le sabre sur ses genoux, et nettoie avec soin. Il frotte de haut en bas avec délicatesse, il caresse sa lame comme il caresserait une femme. Avec la douceur qui n’a d’égal que son amour pour elle. Une fois le maintien du sabre terminé, il dépose le chiffon sur la table et prépare ses habits. Ces derniers sont légèrement déchirés. Peu importe. Il en a besoin pour aujourd’hui, quelques coupures par-ci par-là ne l’empêcheront pas de faire sa séance d’aujourd’hui. Car il ne le fait pas pour devenir bretteur. Non. Pas comme son frère dont l’orgueil avait dévoré son cœur et son esprit. Il le fait pour le bien du peuple, il le fait pour la paix. Car le pouvoir n’apporte pas la paix, le pouvoir n’est qu’un moyen. Le pouvoir en tant que fin en soi n’apporte que ruine et damnation. Les guerres de ninja l’ont prouvé, elles apportent la désolation.
???: "Le pouvoir est nécessaire pour apporter la paix."
Nul besoin de pouvoir, celui-ci est éphémère. Seule compte ce qui reste, ce qui persiste, à savoir l’homme. Il faut le sauver de ce qui le tue. De ce qui l’accable. De ce qui l’anéantit. Parfois, une lame peut changer un combat, un homme peut faire basculer une bataille, une armée peut gagner la guerre. Mais vaincre par les principes, ça, c’est permanent. Les principes demeurent, ils sont figés dans la pierre. Ils ne tremblent pas comme l’ambition qui vous balance d’un côté ou d’un autre. Elles renforcent la conviction. La conviction de faire le bien. La conviction d’accomplir quelque chose pour le bien commun. La flamme de son cœur n’a jamais eu d’arme meilleure. Ce n’est pas la lame qui fait l’homme, mais bien l’homme qui fait la lame. A ces mots, Saji prend le sabre dans sa main. Il sort. Il descend. Il revient à la réalité de la vie. La vie tumultueuse, la vie oppressante. Sa vie durant il n’a pas connu de personne qui lui tienne plus à cœur que sa famille. Jamais n’a-t-il connu de véritable ami pour le guider, ou pour lui apporter cette chaleur qui le défendrait des irrégularités de la vie. Cette rugosité implacable qui vous prend à la gorge la première fois et qui ne vous lâche pas. Incompris, mal aimé, rejeté. Il n’a pas seulement connu la marginalisation sociétale, il en a saigné, et sa plaie est restée béante tout au long de sa vie. Mais heureusement, son père a été là pour le réconforter et pour lui donner cet amour qui lui manquait tant. Un oasis au milieu d’un désert infernal.
???: "Quand personne ne te comprend, tu dois faire usage de la force"
Chacun de ses pas vers le grand Dojo résonne comme une réflexion dans son esprit. Réfléchir est son atout. Il n’a fait que cela depuis son enfance. Songer, avant de parler. Car parler il ne peut pas. Donc il réfléchit. Il se regarde, il se juge, il se reflète dans les gens, inspecte son subconscient. Il sait à qui il ne veut pas ressembler, son frère pour commencer. Son père est un exemple de moralité, il a le courage des guerriers de légende, et un amour dont le métal pourrait faire les meilleures épées. Saji monte les pas de l'escalier qui mènent au dojo, son esprit envahi de pensées, et en même temps, brouillé par cet esprit parasite qui n'a de cesse de la hanter. Il n'en connaît l'origine, il ne sait comment y remédier. Il passe à travers une foule de sabreurs apprentis qui l'inspectent discrètement du regard. Un homme étrange, se disent-il sûrement. Un être extra-terrestre, un marginal, un indésirable. Il a connu tous les noms, il n'en a oublié aucun. Alors qu'il traverse la porte principale du dojo, il se tourne immédiatement sans prêter attention à la rangée de sabreurs en entraînement. Il les évite comme il a toujours évité les gens. Ce manque de contact lui a permis pour autant de garder sa lame intacte, neuve, brillante de clarté. Mais récemment, son esprit est comme bousculé, comme s'il n'était plus seul dans sa tête, comme si quelqu'un ou quelque chose l'habitait. Un autre Moi.
Sa lame reste droite. Sa concentration, imperturbable. En position pour asséner un autre coup de sabre, il fixe du regard le mannequin en bois qui se trouve devant lui. Multiples sont les entailles qui parcourent sa cible immobile. Le silence d’abord. Comme un prédateur attendant l’occasion pour abattre sa proie. La sueur descend sur son cou, son œil grand ouvert. Il frappe. Un arc de cercle descendant, à l’image du marteau du forgeron frappant le métal. Son père forgeron avait tellement l’habitude de le faire, il s’en souvient. Les étincelles jaunes qui volent au contact violent mais ajusté de la panne du marteau sur le matériau. L’outil percuteur monte et redescend à une cadence régulière. A force d’être frappée, la lame prend la forme désirée.
Chaque impact, calculé. Le pied de Saji pivote et frotte le parquet, son corps tourne sur lui-même, son genou plié. Le coup est porté au niveau du cou du mannequin, laissant voir une chair blanche de laquelle tombent de fines échardes de bois. Le bois… Le travail du bois fait également partie des techniques de fabrication du forgeron. Il ne suffit pas de faire fondre le métal et le modeler. Pour manier la lame, le manche est là pour la diriger et lui donner la bonne direction. Faute de quoi elle perd son essence, le destin qui lui est assigné. De même, Saji ne doit pas perdre de vue ce pour quoi il existe, ce pour quoi il est fait. Non qu’il croie nécessairement en la prédestination, mais plutôt qu’il a foi qu’une conviction peut être suffisamment forte si elle ne s’égare pas dans ses principes, ou pire, les rejette. Une conviction est éphémère, elle s’émousse, elle se casse, quand elle essaie de frapper un matériau que la lame ne peut briser. Parce qu’elle ne peut pas, mais surtout parce qu’elle ne doit pas. Une conviction pure est morale. La morale peut être a priori appliquée si le sujet fait le vide dans son esprit et oublie ses désirs corrupteurs. Une conviction forte est née de ce processus et doit fuir de ce qui la corrompt, de ce qui la rouille et la rend laide et fragile.
???: "Mais la lame est faite de matière, et la matière est corruptible. Comment penses-tu qu’il soit possible que la lame reste droite et aiguisée en toute circonstance ?"
Je sais que je ne peux pas savoir, et je ne peux pas savoir si je peux, mais je le dois. Je dois parce que je dois. Le devoir est une fin en soi. Elle me forge et me définit en tant qu’être de liberté. Saji continue à faire défiler ses pensées tandis qu’il coupe le mannequin de toutes parts. Son doute métaphysique ne l’arrête pas dans son élan, au contraire il avance, son parcours spirituel ne finit pas, peut-être ne finira-t-il jamais. Tel est le fardeau de l’homme, il est libre de rouiller, il est libre de s’affiner. Toute cette liberté l’étouffe quelques fois, mais pour d’autres, cette liberté est l’extase et donne lieu à toutes sortes d’excès. Le sifflement de la lame qui fend l’air résonne dans la salle désormais vide. Saji est désormais seul, les apprentis ayant désormais quitté l’enceinte du Grand Dojo. La nuit l’accueille et l’embrasse. Elle est paisible et lui confère davantage de clairvoyance dans ce labyrinthe philosophique dont il ne voit pas la solution. Il frappe le bois d’un coup sec, comme pour afficher sa frustration. Des combats il en a gagné. Mais ce combat est peut-être perdu d’avance. Il marche au fond de la salle après ses efforts. A l’image de son corps, son esprit transpire plus que jamais, mais sa lame ne tord toujours pas. Le contact d’autres lames ne l’effraie point. Toute lame s’émousse. Et peut-être est-ce la condition nécessaire pour améliorer le tranchant.
???: "Tu as besoin de l’Autre pour tester la solidité de ta conviction, la lame également."
Une entaille après l’autre. Une réflexion en amène une autre. L’espacement entre les sons du métal contre le bois se rétrécit à chaque coup. Le rythme s’accélère, les muscles se contractent, la vision se précise. La tête du mannequin en bois s’envole sous le coup de grâce. La respiration est lourde. La bouche grande ouverte, ne pouvant cacher sa fatigue, Saji se sert de sa manche de son shozôku pour nettoyer la sueur qui parcourt son visage. Il se regarde, il voit son propre reflet dans la lame qui brille sous la lumière des bougies éclairant la salle d’entraînement. Son ombre est longue et s’étend jusqu’à la porte de sortie. L’engourdissement des membres de son corps l’oblige à s’asseoir un moment, même s’il souhaiterait continuer immédiatement. Il n’a pas le temps de se reposer étant donné les enjeux qui l’animent. Le temps fuit et échappe à son contrôle. Souvent il se remémore de ses moments passés avec son frère, alors qu’ils étaient encore jeunes et insouciants. La vie leur ouvrait les bras. Ils pouvaient se projeter dans leur héros légendaires et prétendre être des méchants. Enfance lointaine et heureuse qui tranche avec la rugosité du présent. Le présent qui nous rappelle la responsabilité et la nécessité de répondre à des conventions que l’on n’a pas demandé. Son frère Ashikage fait partie de ces personnes qui veulent être libres de tout, libres des lois, libres de devenir ce qu’ils désirent. Saji sait ce que coûte une telle liberté, le risque de tomber loin des nécessités morales.
???: "La liberté a un prix mais est-il nécessaire de le payer ?"
Oui bien sûr que oui. Saji se relève, il a le sentiment que ses pensées deviennent de plus en plus brouillées. Sa main attrape le katana et il se met en position de combat. Il est temps de reprendre. Cette fois, il perd de plus en plus de précision. Il a sous-estimé sa fatigue. A nombreuses reprises, la lame passe à côté du mannequin, tranche des morceaux qui tombent au sol. Des copeaux de bois flottent avant de se poser de façon délicate sur le parquet. Reprenant son souffle, Saji regagne le contrôle de son sabre et frappe droit sur la tête, ne quittant pas sa cible des yeux. Les coups sont ordonnés, ils prennent un rythme régulier. La puissance, parfaitement contrôlée. Les hommes ne peuvent vivre sans contrôle, sans société. La liberté n’a de sens que si elle peut être appliquée. A quoi sert ma liberté si elle est annulée par celle de l’autre ? La paix appelle l’ordre, et l’ordre appelle à l’application de principes au fondement moral. Si l’on ne veut pas retourner à nos instincts grégaires et s’entretuer tels des animaux enragés, respecter des commandements universellement acceptés est la clé.
???: "Universellement acceptés certes, mais toutes les lames ne sont pas les mêmes, certaines sont plus affûtées que d’autres."
Il faut donc leur montrer la façon de manier la lame, et s’ils refusent de par leur propre volonté, il est moralement nécessaire de les empêcher de nuire au reste des individus. Manier son sabre s’apprend, de la même façon qu’on apprend à marcher. De la même manière, la liberté se cultive par l’apprentissage et par l’erreur. Pour autant, certaines erreurs sont impardonnables. Et le caractère impardonnable d’un acte dépend des règles conventionnelles Elles contraignent certains plus que d’autres mais le vivre-ensemble ne se construit que sur la base de principes moraux applicables.
Sa chevelure métallique le réconforte rien qu’à la voir se dresser devant lui. Elle fouette l’air de sa danse séduisante et si particulière. Nombreux sont les hommes qui sont tombés sous son charme. Nombreuses aussi sont les fois où elle a fait saigner le cœur des hommes. Pour autant, la lame est fidèle et ne le quitte jamais. Il la caresse et elle ronronne, ce grincement de la peau contre le métal, ce sifflement dans l’air qui envoûte les esprits et enchaîne les cœurs. Sa portée a une limite cependant. La limite de son matériau. Le métal alourdit, comme la matière alourdit l’esprit. Il faut ajuster le poids de la matière, et alléger les émotions. Ce qui ralentit un homme dans la certitude, c’est certainement son incapacité à se dispenser de désirer ou de vouloir. La tristesse, la mélancolie, la colère, toutes ces humeurs qui obscurcissent la perception. Il n’en veut pas. Il ne doit pas en vouloir au nom des principes. S’il veut régner sur ses émotions, il doit apprendre à se faire souffrance. Paradoxalement, sacrifier une partie de son humanité pour la préserver, dans la mesure où je considère que je perds mon humanité dès lors que je perds ma liberté. Je perds mon humanité quand je ne sacrifie pas une partie de celle-ci. C’est le prix à payer. Et je paie volontiers.
???: « Tu te penses donc plus humain quand tu sacrifies ton humanité que quand tu l’embrasses complètement. »
Triste à dire, mais oui. Le déchaînement des lames sur le mannequin décapité continue. Sa victime est déjà sans tête et pourtant il s’acharne. Un dernier coup de sabre ampute le mannequin de son bras. Le bout de bois vole très loin et percute le sol, suite de quoi le bretteur s’adosse contre un mur, cherchant à récupérer de l’air dans ses poumons. Et s’il se trompait ? Et s’il avait dirigé sa lame dans la mauvaise direction ? Son cœur ne ment pas, mais ses actes peuvent le trahir. Il peut être convaincu de faire le bien, mais en même temps faire souffrir pour faire le bien. Sa conscience se repose, mais son bras tremble, la lame perd de sa force. Je ne peux savoir si ce que je fais est juste, encore moins faire comprendre à l’ennemi de ma conviction que mon acte est bienveillant, mais si je sais que je dois, alors je ferai.
???: « Que fais-tu des conséquences ? Tu risques d’abattre un homme sans son épée »
Apprendre à manier le sabre est un risque certes mais il s’agit de la condition nécessaire pour devenir plus précis. On ne touche que ce qu’on s’est entraîné à toucher. Le prix est parfois la mort de son adversaire qui ne partage pas la conviction que je retiens. J’y ai déjà songé et je me le répète dans la tête. Si cela est le prix est à payer, alors je paie volontiers.
Une limite entre bien et mal. Une différence entre le Moi et l’Autre. Une frontière entre le connu et l’inconnu. La lame oscille entre deux côtés, entre deux valeurs, entre vice et vertu. Saji porte la lame droite devant son visage, comme s’il essayait de sentir le dos de l’épée du bout de son nez. Elle descend, s’appuyant sur sa peau. Il inspire et expire. Il fouette l’air froid avec son sabre, projetant des particules de poussière de la surface du métal. La main sur la poignée, il frappe, il feint la défense, il contre-attaque, il esquive et enfin, il danse. Une tornade de lames se jette sur le mannequin amputé. L’autre bras qui lui reste est séparé de son tronc, un petit nuage de fibres de bois gicle de l’entaille. On ne reconnaît plus sa forme humaine en bois, elle n’est plus, il ne reste que le corps, un corps sans âme. Il faut nécessairement présupposer la dualité de l’homme, comment étant composé à la fois d’un corps et d’une âme. Sinon, il ne reste que la matière, un tronc sans ses branches et ses feuilles, un sabre sans sa poignée. Quand l’âme est perdue, quand celle-ci est damnée, alors l’homme n’est plus, de cette coquille vide naît alors une abomination, un être démoniaque aveuglé par ses désirs. Une âme se corrompt comme la rouille corrompt le métal de la lame. Frapper le ciment avec son sabre est le meilleur moyen de la briser, aussi le sabreur s’est-il entraîné pour choisir prudemment la matière à couper. Il est facile de mal viser, tomber d’un côté ou d’un autre. La fatigue peut prendre les muscles du bras ou du poignet, et faire dévier la trajectoire de l’épée. Une possibilité réalisée par des hommes au cœur rongé de noir, ils ne voient plus droit, ils attaquent à la façon d’un berserker. Ils n’ont plus la raison pour garder la lame bien droite et délimiter la portée morale de leurs actions. Une erreur peut suffire à décourager plus d’un. Nombreux sont les sabreurs sans allégeance. Ils ne jurent que par eux-mêmes et vivent une vie semble-t-il facile.
???: « Un rônin n’est pas seulement un bretteur sans maître, c’est aussi un sabre sans son fourreau. »
En effet. Les coups de sabre partent de plus belle, un arc horizontal suivi d’un arc vertical qui laisse deux longues entailles qui se croisent, formant une croix blanche sur le bois. La respiration s’alourdit et les muscles se tendent. Servir une cause donne une raison de vivre à un sabreur. Ses principes moraux doivent être solides. Tuer est un acte ignoble, retirant la liberté à sa victime, retirant en même temps une part d’humanité au tueur. Tuer ne doit pas être une fin, ni un moyen. Un rônin n’a plus de garde-fou pour lui dire la limite de ses privilèges. Il faut donc un maître, un Surmoi pour commander le Moi, un esprit pour dominer la matière, une loi pour ordonner la société. Saji se réveille de ses pensées et lance deux coups de sabre en diagonale comme pour se décharger de cette pression mentale. Son entraînement continu, il ne finira pas de réfléchir. Car la réflexion doit être un flux sans fin, l’homme ne connaît jamais vraiment le repos. A aucun moment ne doit-il baisser sa garde, car l’ennemi est là prêt à tendre une embuscade. La main sur la poignée du sabre, il guette. Le sabreur ne finit jamais de marcher et de parcourir le monde. Les rencontres qu’il fait forgent sa conviction, car finalement, la solidité de la lame ne se teste qu’au contact d’une autre lame. Il n’y a pas que le métal, mais le maniement qui en fait sa solidité. L’arme n’est pas aussi forte sans son maître, et elle n’est pas aussi tranchante dans les mains d’un apprenti que dans celles d’un expert. Ainsi, tester la réalité de ses principes est un devoir pragmatique, une façon pour la personne morale d’agir de la façon la plus droite possible en fonction des circonstances. Je dois discuter, je dois accepter d’être attaqué dans mes défenses, je dois parer, puis contre-attaquer. Le dialogue. C’est le dialogue de la pensée.
???: « Tu ne dois pas avoir peur de l’Autre, mais aller vers lui. Autrement ta lame ne cessera de trembler à la vue de l’adversité. »
Je ne tremble pas mais je doute. Elle est condition nécessaire pour la conscience et pour comprendre l’environnement qui nous entoure. Elle est le fondement de la différence entre le Moi et l’Autre. La lame qui sépare l’attaquant et l’attaqué, le sabreur et sa cible. Si je ne tremble pas, je vacille, et dans le vacillement je pourrais porter un coup que je n’aurais pas voulu porter. Le tremblement est prudence, la prudence est mère de sûreté.
Légère comme une plume, elle rédige les annales de l’histoire des hommes, elle fige le destin de l’humanité. La lame se déplace contre la surface du bois, elle continue d’écrire son histoire. Des caractères droits présentant des courbes en certains points, ils ressemblent à certains endroits aux mouvements d’un serpent qui se meut dans l’obscurité. La souplesse et l’élégance caractérisent la beauté de la lame qui sait s’adapter. Il faut apprendre à accepter ce qui n’est pas soi, tendre la main vers son prochain, envisager une idée qui n’est pas la sienne sans pour autant l’embrasser complètement. Il s’agit davantage d’une ouverture qu’une appropriation, le dialogue n’est pas un combat éristique, mais plutôt une expérimentation heuristique. Rien ne donne plus de plaisir à un être qui en rencontre un autre, que le sentiment d’être reconnu comme un Moi qui pense. L’incompréhension et la solitude, elles sont le fardeau de l’homme condamné à parcourir le monde tel un Œdipe trahi par son destin. Deux coups de sabre plus tard, Saji lâche la poignée de son compagnon, comme un amant lâcherait la main de sa femme. Il se sépare, il s’égare puis il oublie. Parfois il est mieux de lâcher prise que de forcer le courant de la rivière à circuler dans le sens contraire. Cela n’est pas possible. La nature ne prend pas toujours la forme que l’art souhaite qu’elle prenne. Aussi le sabreur ne sera pas toujours en mesure de trouver une parade efficace à chaque assaut. Que ce soit en prenant une position défensive ou offensive, le moyen n’est pas toujours là pour assurer la fin. Il faut donc croire, continuer à suivre le chemin que l’on s’est donné et persévérer dans le sens que l’on pense être le meilleur. Quelques fois, ranger la lame dans son fourreau est la meilleure solution pour répondre à une situation impossible. Un choix moral que l’on ne peut faire. Un acte que l’on ne souhaite pas accomplir. Car la teinte est permanente, il s’agit d’une tâche qui s’accroche aux fibres du vêtement. Ce dernier vous couvre pour toujours et vous montre face au monde qui vous juge et vous inspecte. Donc préférer le silence à la parole blasphématoire, choisir l’inaction pour éviter l’excès. Connaître la voie du sabre, c’est apprendre à se tempérer.
???: « La tempérance est la condition du sang-froid, et le sang-froid assure le jugement moral adéquat. »
Saji reste complètement immobile et ferme les yeux. Le plat de la lame sur la paume de sa main qui ne tient pas le sabre. Il fait glisser le métal sur sa main, pour en ressentir la douceur. Elle le caresse en retour comme dans un amour mutuel. Rapprochant son nez près de la lame, il inspire l’odeur du métal froid qui a percé l’air de ses mouvements de danse. Finalement, il se prépare, se met en position offensive, et frappe. Les coups sont réfléchis et les cibles identifiées. Le fil de sa lame est semblable au fil de son esprit, droit et solide. La lame claque encore sur le bois, étripant sa victime en bois de sa chair. Au milieu de sa performance, Saji n’est plus sûr, il se demande s’il n’est pas seul, et s’arrête. Il remarque que la nuit est tombée depuis un certain temps, au vu des bougies qui ont perdu de leur cire. Le temps coule parfois comme un torrent que l’on ne peut arrêter, notre conscience et la rapidité d’exécution déterminent ce sentiment du temps. Même s’il existe un temps objectif, le temps fluide tel que nous le connaissons par l’instinct n’est pas contrôlable, il se ressent. Ses aiguilles ne tournent pas avec une cadence régulière, c’est un cours sans fin dont le débit est régulé par la force du sentiment. Saji attrape une bouteille d’eau au sol avant d’en boire la moitié. Une fois abreuvé, il la dépose et reprend ses esprits. Il revient à la charge sur le mannequin et enchaîne deux coups au niveau des côtés, puis un coup de pied droit au niveau du ventre. En combinant à la fois taijutsu et kenjutsu, il lui sera possible d’être physiquement bien supérieur à la plupart de ses adversaires. Rien ne peut l’arrêter dans sa marche vers la conviction. Il reprend.
Elle descend à la façon d’une guillotine. Inévitable, effrayante et pourtant si satisfaisante, en ce qu’elle exécute la voix de la justice. La lame ne tremble pas, elle écoute ce qui lui semble le plus juste, juge de l’action la plus appropriée, avant de porter son coup. La tête tombe dans le sceau. Le sang coule le long du filet métallique qui brille sous les auspices du destin. Justice est exécutée. La morale est respectée. La lame descend et frappe la cavité qui servait encore de support pour la tête du mannequin en bois. Désormais, Saji s’entraîne sur un bout de bois qui ne présente plus rien d’humain à part l’attachement à la matière, et sa dégradation inarrêtable. Par le sabre il crée des fentes sur le tronçon, lequel est désormais méconnaissable par rapport à sa forme d’origine. Il attaque, il recule, puis tourne sur lui-même pour exécuter un coup au bas du corps. La lame se plante dans le bois, ce qui empêche pendant un instant le sabre de bouger. Après un coup sec, la lame glisse et se frotte contre le bois, laissant échapper des échardes qui couvrent le sol désormais surmonté de monticules de poussière. Saji frappe encore et encore. On distingue à chaque impact une explosion de particules de bois qui attestent de la force des coups. Ses muscles ne lâchent pas, il persévère. La raison pour laquelle il est devenu sabreur… il veut protéger les femmes et les enfants, il veut défendre les personnes qui ne peuvent pas lever l’épée, il veut donner espoir à une ère où l’on ne connaît que désolation. Le temps des shinobis est une époque de guerre et de dévastation, des pouvoirs qui s’entrechoquent, l’ambition qui dévore le cœur des hommes. Saji sait que trop bien où l’ambition peut conduire l’âme d’une personne. Il regrette de ne pas avoir fait davantage pour empêcher son frère de sombrer dans sa folie. Mais au fond comment aurait-il pu prévoir son passage à l’acte ? Faut-il qu’il se sente responsable pour un acte immoral par quelqu’un de son sang ? Il regrette, et il se fait souffrance. Les coups de sabre suivants expriment sa frustration face au destin qui s’acharne et le sépare de ce qui lui reste de sa famille. Il a perdu sa mère, maintenant… son frère. Son père est resté au village natal, en sécurité, pour s’assurer que ses deux fils puissent retrouver un bon foyer, un foyer où ils se sentiraient
???: « Les sentiments empêchent ta lame de voir la raison. Seule la raison pure te conduira à faire ce qui est juste. »
Rien n’est moins sûr. Certes, un cœur pur et plein de sentiments peut se tromper dans son raisonnement et commettre une erreur. Mais c’est elle qui l’emporte quand il s’agit de faire appel à l’humanité de l’Autre. Cette part d’humanité est nécessaire pour l’accomplissement de l’acte moral qui ne peut être parfait dans tous les cas. Un acte moral parfait demanderait à ce que le sujet soit capable de se défaire complètement de ses jugements a priori et de ses inclinations. Il est important de ne pas porter la raison pure sur un piédestal et se dire qu’elle seule peut permettre à un homme de faire le bon choix. Parce que nous vivons dans un monde d’hommes. Et que l’homme réagit en même temps qu’il agit. Il est animal avant d’être animal intelligent. Il respire, il marche, il mange comme tous les animaux. Mais il réfléchit et essaie de comprendre pour être plus sensible à l’environnement qui l’entoure. Un homme sans sentiment serait comme une poignée sans lame, ou des branches sans son tronc. Personne ne peut prétendre avoir la solution parfaite. Peut-être nous égarons-nous déjà. Du moins l’intention est là, et cela compte pour quelque chose. Il ne m’est pas possible d’être parfaitement lucide dans mes actes moraux, mais je vais continuer à pousser les limites de mon être pour affiner mon jugement.
???: « Tes pensées se perdent dans ce dédale sans fin. Tu cherches à comprendre, mais tu tombes encore plus bas dans les abîmes.»
Le sabreur muet tremble alors de tout son corps. Il a le sentiment que le monde autour de lui s’obscurcit. Il trébuche, il tombe et ferme les yeux.
L’obscurité laisse de nouveau place à la lumière. Les yeux de Saji s’ouvrent sur une salle remplie à nouveau des rayons du soleil de l’aube. « Quelle heure est-il ? » Il a le sentiment de se réveiller d’un voyage onirique, et son corps tout entier ressent que trop bien la fatigue de la veille. Il vient de dormir au Grand Dojo sans que personne d’autre ne s’en rende compte. Se dépoussiérant les vêtements, il se lève et attrape son katana qu’il range dans son fourreau. Du côté de l’entrée, on peut déjà distinguer des silhouettes s’approcher pour la séance d’entraînement du matin, un groupe d’apprentis qui n’a pas encore détecté sa présence. Saji se demande s’il est sage de continuer l’entraînement dans ces circonstances, de toute façon il doit aller se déshydrater et reprendre de l’énergie. Sur cette pensée, il marche en direction du restaurant le plus proche pour se sustenter et récupérer pendant quelques heures. Alors qu’il consomme tranquillement son repas, il regarde son sabre rangé dans son fourreau, l’air pensif. Une fine lame, le produit d’une fabrication ancienne datant d’avant l’ère des villages ninjas, paraît-il. C’est du moins ce que lui a raconté son maître lui ayant confié l’arme, sans lui dire pourquoi ce sabre était si spécial. Un sabre qui lui demandera de lourdes responsabilités, une lame qui pourrait faire changer le cours des événements à venir. Que voulait-il dire ? En se répétant incessamment cette question, Saji dépose son sabre sur le comptoir. Il finit son bol de ramen et avale le reste de la soupe encore tiède, avant d’accrocher Baransu à la ceinture, et laisser l’addition pour le serveur. Baransu, quel drôle de nom pour un sabre. Sans qu’il s’en rende compte, le sabre commence à émettre une lueur bleutée et vibre dans son fourreau. L’aura s’éteint tandis que Saji reprend sa route pour le Grand Dojo.
D’un pas tranquille, il retourne sur les lieux. Des confrères sabreurs sont déjà en train d’échanger les coups. Quelques regards arrivent dans la direction de Saji tandis qu’il marche vers la salle vide la plus proche. Aujourd’hui est un autre jour d’entraînement comme les autres. Près du mur du fond, il repère une rangée de quatre mannequins en bois. Sans se presser, il s’échauffe les bras et les jambes avant de débuter. Après avoir pris une grande inspiration, il charge. Il inflige de multiples entailles au premier mannequin, lui donnant une apparence zébrée. Il enchaîne avec un empalement sur le deuxième mannequin, suivi d’un coup de pied qui le pousse et le casse en deux. Le sabreur se tourne vers le troisième mannequin, glisse sur ses genoux en passant dans le dos de sa cible, appliquant une longue incision horizontale qui laisse une profonde entaille dans les « lombaires ». Vient finalement le tour du dernier mannequin en bois, sur lequel il saute et fait descendre la pointe de son sabre, lequel se plante dans la tête en bois, et la fracture en deux. Les morceaux de bois tombent au sol et font écho dans la salle vide dont Saji est le seul présent.
Les heures passent. Le bruit de la lame frottant le bois, l’impact du bois contre le bois. Tous les sons se mêlent et s’enchaîne pendant cette séance intensive de l’homme contre la matière. Une entaille, puis deux, puis trois. Les coups se succèdent à un rythme infernal et irrégulier. L’écho prend de l’ampleur jusqu’à gagner les couloirs séparant les salles. Un groupe d’apprentis sabreurs se faufilent devant la porte pour observer la performance de Saji qui n’est plus maître de lui et déchaîne toute sa force comme jamais. Les spectateurs ont les yeux grands ouverts, impressionnés par sa vitesse d’exécution. Il s’agit du fruit de centaines d’heures d’entraînement, de longues séances physiques et plus d’une dizaine d’années de souffrance. Manier le sabre demande persévérance et concentration. Guider la lame vers sa cible n’est pas seulement d’ordre physique, il est également essentiel de pré-visualiser son mouvement de façon à exécuter l’attaque à la perfection. Il voit, oui. Il peut imaginer plus de trois coups à l’avance, bientôt, avec davantage de maîtrise, il pourra planifier et ordonner des techniques de kenjutsu pour défaire un adversaire. La voie du sabre est un chemin long et sinueux, et il n’en est qu’au début.
Comme exalté par cette poussée d’adrénaline générée par l’entraînement, Saji enchaîne coup de sabre sur coup de sabre, ne laissant aucun répit au mannequin de bois face à lui. Les éclats de bois volent et viennent frapper les murs et le sol. De dos on dirait qu’il effectue un travail de sculpteur, essayant de façonner à partir de cette forme humain, un tronçon de bois. Les voix s’élèvent dans son dos, alors que les badauds restent fixés devant la porte, l’épée rangée. Les apprentis sabreurs observent et notent la finesse du style du ninja. Malgré tout cette attention, il ne perd à aucun moment sa concentration et continue dans sa danse de lames. Il s’arrête en position basse, frappe et attaque avec une découpe allant de bas en haut puis de haut en bas. Il enchaîne avec une découpe basse horizontale, sciant le bas du tronc du mannequin, laissant une longue et profonde entaille, découvrant la chair blanche du bois. Suite à cette démonstration de force, l’air est comme couvert de poussière de bois qui tombe, tandis que le sabreur est immobile, la tête fixe. Sa respiration se ralentit. Il range délicatement et silencieusement sa lame dans son fourreau, d’une façon presque mécanique. Il se tourne soudainement en direction des apprentis sabreurs qui sont toujours là et sautent de peur à la vue de son changement d’attitude qui n’est en réalité aucunement hostile. Saji leur fait signe par la main de s’approcher, ce qu’ils font avec une certaine timidité. C’est un groupe de dix jeunes hommes habillés en uniforme traditionnel et avec un bandana blanc autour de la tête. Ils portent aussi des sandales et chaussettes blanches, tous, sans exception. Ils sont parfaitement propres, la peau douce et encore jeune, barbe à peine apparente. Ils incarnent la nouvelle génération de sabreurs de Kiri, mais ont-ils l’étoffe pour remplacer les anciens ? C’est ce qu’ils allaient vérifier.
Saji est debout, droit sur ses appuis, et fait face à une ligne de dix sabreurs. Ceux-ci sont déjà en garde tandis que le ninja n’a pas encore fait de mouvement signifiant qu’il est prêt à attaquer. Il est immobile et ne bouge pas la tête d’un pouce. C’est alors qu’il met la main gauche sur le haut de son fourreau, comme pour se préparer à dégainer son sabre. Ses adversaires bougent légèrement avec une certaine appréhension, anticipant une attaque imminente de cet inconnu. Un des sabreurs annonce à Saji : « On utilise le dos de la lame. » ce à quoi il acquiesce silencieusement. Tout d’un coup l’un d’entre eux sans attendre de signal se décide à charger l’homme solitaire, brandissant son épée en l’air, et lâchant un cri de guerre. Saji bouge la tête pour fixer le premier assaillant des yeux, prend une posture défensive basse, presque accroupie, et rapproche sa main de la poignée de son sabre. Il fait semblant de dégainer et au lieu de cela il tire le sabre avec son fourreau de sa ceinture, et frappe le ventre avec le côté de son fourreau. Son adversaire recule de quelques pieds tout en se tenant le ventre d’une main, l’autre main sur le point de lâcher son arme sur le coup. Il revient à la charge avec davantage de détermination et de rage. Saji allonge sa jambe droite et pivote sa jambe gauche, de sorte à tourner sur lui-même, traçant virtuellement un demi-cercle. On peut même voire la trace de son pied qui tourne étant donné qu’elle balaie la poussière de bois. Maintenant qu’il a son dos face à l’adversaire il lève son fourreau vers le haut et le fait brusquement descendre derrière lui, la pointe en avant, frappant une fois de plus l’estomac de son adversaire qui se contorsionne de douleur. Il tombe. Une première démonstration de force qui impressionne le reste des neuf camarades. Ils reculent légèrement le pied puis deux d’entre eux se décident à lever l’épée. Ils courent en direction de Saji avec l’intention de le prendre en tenaille. Sans plus tarder, le sabreur solitaire court en leur direction tout en gardant son sabre dans le fourreau, avant de le dégainer au dernier moment alors qu’ils ne sont plus qu’à un cheveu de distance. Un coup sec du dos de la lame frappe l’un des apprentis à la nuque, tandis que l’autre essaie de prendre l’initiative mais les réflexes de Saji lui permettent de parer l’attaque, et donner un coup de pied au ventre qui fait tomber en arrière sa victime. Ce dernier se relève et se met debout avant de se mettre en garde.
Les neuf lames de ses adversaires brillent sous les rayons de lumière du soleil remplissant la salle d’entraînement. Saji est positionnée face à une rangé de sabreurs avec l’épée en l’air, prêts à passer à l’offensive et profiter de leur supériorité numérique. Le pied de deux sabreurs se décolle du sol alors qu’ils chargent en direction de Saji qui jette un regard rapide dans les deux côtés opposés. Il avance immédiatement vers l’un pour parer son attaque et le pousse du pied, se retourne rapidement pour bloquer une attaque basse et frappe à la nuque avec la poignée de son katana. Un deuxième homme à terre, plus que huit. Celui qui vient tout juste d’attaquer essaie de prendre le ninja vêtu de noir par derrière, mais ce dernier le voit venir et fait mine de ne pas l’entendre approcher. Sans se retourner, il recule d’un pas rapide et met un coup de coude derrière au plexus solaire de l’assaillant qui recule sous le choc inattendu. Il se tient la poitrine, ressentant la douleur au plus haut point. Il arrive à peine à tenir debout, tandis que Saji termine le travail en lui assénant un coup de pied au visage qui l’assomme. Plus que sept. Trois des sept sabreurs restant viennent à la charge, plus déterminés que jamais. Ils attaquent de face et sur les côtés. Saji recule pour les garder devant lui mais ils sont suffisamment malins pour avancer sur ses flancs pour le garder en situation de difficulté. Très bien. Une des lames descend sur lui, il bloque avec son fourreau d’une main, puis bloque une autre attaque en simultané avec son katana. Il est désormais immobile, les deux mains occupées à repousser deux lames sur les côtés. En face, un adversaire s’apprête à effectuer un coup en piqué. A ce moment-là, Saji bouge légèrement son corps pour esquiver la pointe, se tourne sur lui-même à la façon d’une tornade, et en pivotant assène deux coups simultanés à ses adversaires sur les côtés. Deux corps tombent, plus que cinq. Celui qui venait d’attaquer de face revient avec une frappe à l’horizontale au niveau du ventre que Saji esquive en faisant un pas rapide en arrière. Avec la main qui tient le sabre, il donne un coup avec la poignée au visage avant d’effectuer une projection Ipon Seoi Nage qui fait voler son adversaire à deux mètres de lui. Celui-ci se relève mais avant qu’il puisse faire quoi que ce soit il reçoit un coup de genou à la tête alors qu’il est un genou au sol. Un autre de moins, plus que quatre.
L’étau se resserre. Les quatre adversaires restants entourent le sabreur solitaire qui se met en position de garde haute, le sabre en l’air fermement tenu par les deux mains. Il est en très mauvaise position pour se défendre et essaie d’avoir l’œil averti pour prévenir toute attaque, quelle que soit sa provenance. L’un d’entre eux cherche à frapper sur son côté gauche, il bloque de justesse puis voit venir un coup en avant qu’il esquive. C’était juste. Un moment de silence où les cinq hommes encore debout se jaugent du regard. C’est maintenant au sabreur côté gauche de frapper, Saji intercepte avec sa propre lame et donne un coup de pied à la main pour frapper la main et désarmer. Profitant de la distraction, les trois autres attaquent rapidement en faisant tous une attaque piquée. Sentant venir le danger de derrière lui, Saji se retourne et effectue un violent coup de sabre qui pousse les trois lames d’un seul coup. Le choc est si violent que les trois sabreurs sont déséquilibrés, emportés de quelques pas sur le côté à la façon de dominos. Il court vers les trois et glisse pour effectuer une balayette qui les fait tous tomber au sol. L’autre de bout attrape Saji par derrière en lui prenant les bras et appuyant ses mains sur sa tête, l’immobilisant partiellement. Le shinobi écrase le pied ce qui fait lâcher prise à l’attaquant derrière lui, puis se retourne pour enchaîner avec un coup de genou à l’estomac et enfin un coup de poing à la nuque qui finit le travail. Les trois autres sabreurs mis au so se relèvent difficilement mais toujours avec le sabre à la main, ils ne lâchent rien. Saji court en leur direction, fait teinter sa lame contre celle des autres mais se rapproche sans difficulté, il trouve une ouverte et assomme l’un des trois avec le dos de la lame. Les deux adversaires restants reculent de peur, impressionnés par son talent. Saji sans perdre davantage de temps court dans leur direction et saute tout en brandissant son sabre en l’air, fait descendre son arme de haut en bas, produisant un violent choc contre la lame de l’ennemi positionnée de façon horizontale. Une étincelle orangée se produit à l’impact, rendant la scène encore plus épique. Le défenseur pose son genou sous la force du contact mais tout en maintenant la garde. Saji voyant cela comprend que l’adversaire est en difficulté et attaque sur le côté pour ouvrir l’autre. Sur le côté ouvert il assène un coup de pied à la tête qui neutralise sa cible. Le dernier adversaire qui regardait cet affrontement inégal recule de quelques pas avant de saisir son courage à deux mains et frapper. Saji riposte avec une parade solide suivie d’une contre-attaque traduite par un coup de genou au ventre, et un coup de coude à la tête. L’adversaire est mis hors d’état de nuire. Au milieu des corps inconscients des dix apprentis sabreurs, le shinobi muet plante son sabre au sol comme pour marquer son territoire, et respire de plus en plus lentement, tâchant de récupérer de cette performance physique difficile.