Se mettre au travail. Drôle de concession qui pouvait sonner faux à l'oreille lorsque l'on prêtait ces mots à une protagoniste telle que Takara. Pourtant il s'agissait bien là d'une volonté de sa part, soufflée à Shuuhei avant de passer l'Arche Grise. Or si cette dernière pouvait être assurément bien des choses, on ne pouvait la qualifier de menteuse. La vérité lui importait plus que tout en ce bas monde, c'était par ailleurs ce qui la rendait particulièrement compliquée à appréhender faute à ses avis tranchés quant à nombre de questions. Si aujourd'hui elle s'autorisait enfin à œuvrer au sein du système shinobi, la question de savoir si oui ou non elle reniait sa philosophie d'alors ne se posait même pas. Et cela n'arrangeait rien par rapport à ce phénomène nouveau planant au dessus du village : Les regards portés sur le clan Suzuri s'étaient durcis. Plus sombres, plus méfiants. Pas besoin de paroles ou d'actes déplacés, une certaine tension s'immisçait, devenait palpable. Les oreilles des Suzuri sifflaient aussi sûrement que parmi le peuple des dents grinçaient. Autant dire qu'en ses heures sombres, un esprit comme le sien ne semblait guère le bienvenu. Les réactions de l'ancien raikage en étaient un parfait indicateur, tout son être se dirigeant vers la protection de cette terre et de son étendard. Kaminari no Kuni avait besoin de modèles patriotiques, de héros en qui placer leurs espoirs, et non de hérauts philosophant sur leurs déboires. Vision à court terme, que de répondre à un état d'urgence... Silence, maudites pensées.
La trentenaire devait néanmoins trouver sa place, et pour le coup, elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle même si son timing semblait le pire. Bien entendu son regard se portait immédiatement sur son clan, là où elle trouverait les seules personnes réellement abordables de part des bribes de relation passée. L'idée de se jeter dans le carcan de l'académie kumojin aux côtés d'enfants passionnés par leurs progrès la rebutait, risquant même de la faire craquer, aussi elle entamait son intégration en douceur. Elle remplirait des missions rentrant dans ses cordes au besoin et ne se mêlerait qu'au minimum avec les institutions en place. Du reste, elle renouerait d'avantage avec les membres de son clan qui constituaient en vérité l'intermédiaire logique entre les souhaits du village et son implication personnelle. Après tout, elle n'avait jamais cessé d'être une Suzuri, aucun jugement ni quota quelconque ne pouvait lui enlever ce fait. Seule son manque assumé de volonté l'avait coupé des forces vives du village. Après tout, son clan demeurait le seul point d'encrage qu'elle n'avait jamais délaissé, même si ses visites s'étaient espacées de plus en plus dans le temps. Elle n'était toutefois pas la seule dans ce genre là, le tempérament des Suzuri s'y accommodant plutôt bien. Quoiqu'il en soit, ce retour à la réalité combiné à cette idée nouvelle d’œuvrer pour le village amena Takara à chercher une personne en particulier ; un cousin qu'elle portait en bonne estime mais qui, quant à lui, avait fait ses armes depuis longtemps dans l'intérêt de l'ex-Shitaderu, justement par des missions incluant d'avantage de distance et d'autonomie. Ils étaient de la même génération, réglant une barrière naturelle quoique parfois futile. Pour l'heure, elle souhaitait surtout rétablir la proximité d'antan et échanger librement, avec en guise de double emploi d'être possiblement aiguillée sur le futur rôle qu'elle pourrait endosser parmi les agents du clan.
La nuit recouvrait tout le pays depuis quelques heures déjà. Elle s'était affairée toute la journée et, après une visite de convenance au domaine du clan, ne comptait plus regagner son logement tout de suite, comme si les événements auxquels elle s'ouvrait tout juste n'avaient de cesse de repousser sa fatigue. Elle passait donc au domicile de Shisei en espérant que la porte lui serait ouverte, malgré son statut d'improviste éternelle. Toquant deux fois, elle patientait calmement. Sans doute ne s'attendait-il pas à une telle visite, encore moins à cette heure tardive. Toujours couverte de son châle bleuté tâché de motifs mouvants, elle se fondait presque donc l'obscurité. A la voir ainsi, la moue songeuse, à rechercher de la compagnie, on pouvait presque la comparer à une fugitive ; qu'elle l'admette ou non, elle avait au fil du temps perdue de sa prestance, son aura n'était plus aussi épurée et légère qu'avant, elle aussi, malgré la distance, s'était vue affectée par les doutes et les remises en question. Peut-être avait-elle plus besoin des autres qu'elle ne le pensait ? Du moins c'est ce que pourrait se demander celui qui ne tarderait plus à ouvrir sa porte.
Ou non. Puisque juste avant que celle-ci ne s'ouvre, un sourire confiant habitait désormais la moue de Takara.
-"Foutre gland !" Shisei marqua une pause, interdit, la bouche ouverte et les paupières battantes. "Foutre gland !" Comme un bug dans la matrice, il ne parvenait pas à sortir de cette boucle sans fin et à exécuter l'instruction suivante. Le temps mis entre parenthèses, il lui sembla rester hébété une éternité avant qu'une autre phrase, sans plus de sens, ne s'extirpe de sa bouche ramollie.
-"Un fantôme..." Il fallut l'intervention de sa femme, Midoli, pour reconnaître la voyageuse nocturne et lui proposer ce qui aurait dû être dit par son mari stupide.
-"Entre, Takara." Shisei s'écarta enfin de la porte et reconnecta avec la réalité. Il partit s'installer dans la cuisine avec Takara, tandis que Midoli entama la lourde épreuve de coucher les trois drôlesses qui tournaient déjà autour de la nouvelle venue, une paire d'yeux grands ouverts chacune, des questions pleins la bouches et la promesse d'une longue nuit pour leurs parents.
-"J'ai l'impression que ça fait une éternité." Depuis toujours, Takara ne souffrit d'aucune laisse ni d'aucune frontière. Une liberté jalousée par le tatoué qui voyait en elle la personnification même de l'essence profonde du clan et toutes les qualités que cela lui octroyait. Une pacifiste de la première heure, l'antithèse s'il fut la thèse, la vérité s'il fut la tromperie, l'ombre et la discrétion quand il leur préférait les flammes de l'impudence. Fuir les ordres pour l'une, s'en arranger pour l'autre, leurs tempéraments et destins se liaient pourtant dans l'insolence d'une vie menée selon leurs propres règles, loin de l'administratif et de l'avenir tout tracé par leurs ainés. Deux chaos distincts et répudiés par certains de leurs paires.
-"Ca me fait plaisir de te revoir, Takara." Timide aveux à la sœur qu'il n'eut jamais, promesse arrachée au grand tatoué d'ordinaire effronté alors qu'il se dirigeait vers la théière. "T'en veux ?" Les banalités ne dureraient pas, certitude absolue pour quiconque s'était déjà confronté à cette Suzuri, alors Shisei patienta, comme un enfant réservé, silencieux et curieux, qu'elle en vienne à la raison de sa présence ici. Et en certaines occasions, un regard, un geste ou un sourire suffisait à transcrire le plus complexe des aveux.
Comme réponse, des yeux de jade légèrement écarquillés, mimant un choc face au drôle d’accueil. Takara demeurait secrète jusqu'à ce que Midoli ne brise la glace d'une simple touche de savoir-vivre, sitôt récompensée d'un silencieux hochement de tête. Elle ne se perdait pas dans les démonstrations ; la gestuelle coutumière se suffisant à elle-même en ce qui concernait les formes de cordialité, d'autant plus que la femme de Shisei ne prenait le relais que brièvement, visiblement déjà plongée dans d'autres tâches. Au moins cela laissa le temps au Suzuri de reprendre contenance ainsi que le fil de la situation.
Sans doute parce que c'est le cas ? Délivrait-elle finalement comme premier message tout en laissant son regard vagabonder subrepticement dans la pièce. Il faut croire que l'on se manque à chaque fois, même si cela tient certainement plus de ma faute que de la tienne.
Se le reprochait-elle réellement ? Probablement que non. Dans tous les cas, cette petite remarque fut rapidement suivie d'un nouveau contact visuel désormais plus chaleureux. Sourire franc à l'appui, son attention ne se focalisait désormais plus que sur son interlocuteur alors qu'elle prenait place sur l'une des chaises. Sa lourde main gauche, ou plutôt son creux gantelet de bronze, vint se poser sur la surface de la table alors que sa dextre se reposait quant à elle sur l'avant bras voisin.
Ravie de te retrouver après tout ce temps... Midoli a l'air épanouie, comme les petites d'ailleurs. Elle avait pourtant presque snobé les enfants lors de son entrée, ou du moins, s'était montrée suffisamment distante pour ne pas ouvrir la moindre boite de pandore et compliquer la tache ardue de Midoli, néanmoins elle les citait avec une tendresse qui ne laissait pas de doute quant à sa bienveillance à leur sujet. Je ne les connais même pas, c'est dire comme le temps passe... Hm, volontiers, pour le thé.
Enfin, il y a des chances pour que je fasse leur connaissance. J'ai l'intention de m'installer, cette fois. Pour tout te dire, ce que j'ai de plus essentiel désormais se trouve dans une chambre au domaine du clan - J'ai cédé ma maison de Teitetsu et distribué tous les objets qui ne m'évoquent plus rien. Ma décision est donc déjà prise, même si je ne sais pas encore où cela va réellement me mener, en fait... Ajoutait-elle sur le ton d'une plaisanterie feinte avant de saisir la tasse de thé puis, en retour, laissant la chaleur s'emparer de ses doigts. Méditative.
Shisei arrêta son geste au dernier aveu de sa cousine, une tasse de thé suspendue à ses doigts, entre lui et la table, avant qu'elle ne soit saisie par l'invitée. Et puis le voile sur cette vérité se dissipa, comme une révélation que l'on apercevait enfin, le trentenaire comprit la raison de sa présence ici. Rien ne tenait au hasard lorsqu'il s'agissait de Takara, et il serait folie de l'espérer épanouie une fois ancrée ici-bas. Sa volonté à rendre au village son obligation n'en demeurait pas moins honnête, mais force était de constater qu'un esprit libre ne pouvait se nourrir, cloitré dans les limites physiques d'une cité, ni celles, immatérielle, d'un clan.
-"Je t'offrirai mon aide, sans condition et le temps qu'il faudra. Mais nous savons tous deux que tu respires la curiosité des savoirs perdus et des mystères qui nous échappent. Tôt ou tard tu partiras." Evidence sans jugement de valeur, car Shisei se savait bien mal placé pour s'autoriser une quelconque critique à ce sujet. Il lui sourit, le regard farceur brillant d'une idée naissante. "Mon principal atout reste ce que tu récuses le plus. Que dirais-tu de t'y frotter enfin, de t'ouvrir au vrai visage de ce monde, maintenant ?"
L'invitation porta sur le terrain d'entrainement, où la nuit trompait les principaux sens. Elle brodait les gestes d'un fil d'incertitude et masquait de son linceul funèbre l'encre noire emblématique des Suzuri. Shisei ne rechignerait pas pour un affrontement, fit de tout enjeu, fit du résultat. Il vibrait pour ces instants de vie pure et s'y révélait plus qu'en toute autre occasion.
-"Voyons de quelle rouille t'a brossée l'isolement, cousine." Le trentenaire s'agitait déjà à récupérer quelques affaires, avant de prévenir sa femme et ses filles qu'il devait s'absenter au moins jusqu'à demain, encore... .
Que cela lui procurait du bien... d'être comprise, tout simplement. Du moins en partie, même si elle ne pouvait lui jeter la pierre. Il visait juste quant au cœur de cette retrouvaille, néanmoins, et même si peut-être que Tajara devait en passer par là, l'idée d'échanger quelques jongles de senbons ne l'intéressait pas. Lui en revanche ne semblait pas du même avis, trahissant une certaine excitation. Sans doute était-il dans le vrai concernant la démarche de la kunoichi, en la brusquant un peu. Peu importe, il n'y aurait pas droit, pas encore - Jamais ? Ironique, que même deux personnes ayant si peu de mal à se comprendre se voient séparées par un sens de l'attraction si différent. Cela n'en restait pas moins la raison pour laquelle elle l'avait choisi lui en premier lieu.
Tu y voyais pourtant si clair, jusqu'à maintenant. Soufflait-elle, amusée suite à sa proposition. Déjà ses encres colorées s'agitaient, se dévoilant au milieu de teintes vestimentaires où l'on aurait pourtant pas soupçonné leur présence. Le coloris s'agitait à en faire défaillir la vue, se mêlant au décors. Alors la trentenaire disparaissait, que son interlocuteur ou non ait assisté au spectacle, pour gagner la sortie. Là où elle l'attendrait, dans une pénombre plus avantageuse encore pour sa fine dissimulation. La rouille... Je ne suis peut-être pas aussi prompte à l'action qu'eux, mais delà à m'assimiler aux Metaru..?
Un léger rire cristallin raisonnait dans la cours, d'on ne sait où. Pour sûr que Shuuhei aurait tiré une grimace, grave et fatiguée, ou encore un lourd soupir las s'il avait entendu ceci. Mais le contexte n'était pas le même ici. Crois-tu vraiment que je dois en passer par là, Shisei ? Je ne voudrai pas abuser de ton aide, et j'ai bien peur que ce soit plus long encore que tu ne le penses si tu souhaites vraiment m’entraîner sur ce chemin. Tu le sais, n'importe quelle autre solution sera toujours la meilleure à mes yeux.
Les Metaru... Shisei n'y avait pas songé, mais la remarque l'amusa, quand bien même sa cousine disparut dans l'encre et l'obscurité. Elle abandonnait le barbu à ses tatouages, ondulant d'une animation frénétique, et claqua le silence de la nuit du timbre de sa voix, sans source distincte.
-"Tu as toujours été du côté de la discussion, Takara. Mais que faire contre les cons de mauvaise foi, comme moi ?" Une partie de son encre s'écoula au sol pour créer deux clones sans aucune ressemblance avec Shisei. Deux silhouettes anciennes et ridées, un vieux à la longue barbe blanchie et son épouse, toute aussi ridée et également fournie d'une petite moustache disgracieuse, qui prenaient place aux côtés du trentenaire, dos contre dos, en un triangle d'observation.
L'encre continuait de tournoyer sur la peau du trentenaire, lorsque le trio expulsa à l'unisson une fine pluie d'aiguilles noires. Takara était invisible, pas immatérielle, aussi lorsqu'une partie des projectiles d'encre se figèrent sur un agrégat tout aussi noirâtre, le couple d'ancêtres le chargea sans autre sommation que le claquement de leur dentier, le grincement de leurs prothèses et l'assurance d'une dérouillée digne de figurer dans les sagas du couple. Ou lorsque l'anthologie du temps sombrait dans la folie du tatoué, pieds et poings liés à l'esprit déchiré de cette âme naufragée.
-"Nous avons vu l'enfer du Yuukan, Takara." Et cela le transforma à jamais. "Que proposes-tu pour les générations futures, quelle alternative vois-tu au conflit qui revient ?" La guerre se profilait à l'horizon, encore, telle une bête féroce dont la soif de sang lui troublait l'esprit, au point de lui faire oublier les nombreuses blessures qui scarifiaient son corps. Un monstre difforme à la mémoire courte, mais ô combien vorace. "Nous ne sommes que péchés..." Sa voix chevrota d'affliction, tandis que la mémoire d'une horreur passée se formait à ses côtés, un troisième clone, une copie d'un enfant au visage déformé par la peur, la bouche ouverte en un cri muet et les mains plaquées contre ses oreilles.
Les propos de Shisei en disaient moins que sa démonstration de chakra. C'était donc cela, son secret ? La résignation ? Porter le poids de ses décisions passées, puis poursuivre sur la même lancée non sans regrets ? La trentenaire ne le jugerait pas, pas lui. D'autant qu'elle se trouvait à son tour face à cette fameuse porte, ce point de non retour, puisqu'il ne s'agissait pas d'autre chose. En acceptant ce que lui proposait son ami, elle se lançait dans un parcours à fort taux de dérapage. Mais n'était-ce pas là ce qu'elle était justement venue chercher ? Dos au mur, ni orgueil ni improvisation lui permettraient de répondre à la question de son interlocuteur. Ne lui restait qu'une chose, un ressenti d'une puissance inexpressive, lui intimant de poursuivre sur sa voie. Que la réponse viendrait. Qu'elle existait. Que l'impatience d'autrui, que la violence des faits présents et passés, que sa propre impuissance, ne devaient en rien obscurcir son esprit. Il ne s'agissait pas de naïveté mais bel et bien de Foi. Mais dans l'art de la conversation, la foi tourne toujours au prosélytisme, preuves à l'appui. Pour la Suzuri, la seule preuve compréhensible demeurait sa profonde insatisfaction qui la gagnait à l'idée d'employer son chakra dans le but de blesser. Quand l'encre de son cousin s'était flanquée sur son déguisement, elle le vivait comme une agression. Si ici il ne s'agissait pas de grand chose, cela aurait pu être des kunaï ou encore une impulsion de chakra véloce. Rien qu'elle ne souhaitait subir, ni combattre à arme égale. Pourtant, en situation réelle, elle serait déjà morte. Triste constat, quand bien même la mort ne l'effrayait plus depuis bien longtemps.
Je ne vois rien, Shisei. Rien qui saurait y mettre un terme définitif... Chuchotait-elle, laissant ses peintures regagner leurs places originelles. Puis soupirait, baissait les bras. Ses yeux dévisageaient froidement les clones, puis elle reprit : Il me faudra d'avantage de temps, pour tout ça. Je n'ai pas l'intention de me battre, ni même faire semblant... Même parler devient épuisant. Je n'ai aucun mal à concevoir comment blesser: l'envie n'y est tout simplement pas. Même sur ses "illusions"... Je ne souhaite pas détourner mes arcanes pour les abattre. Mais je comprends. J'ai encore besoin de réflexion. Je reviendrai certainement mieux préparée pour passer ce cap.
Quand bien même elle était la responsable de cette scène, son esprit ne semblait pas encore en accord. Shisei serait assurément déçu, quoique, il lui avait garanti "le temps qu'il faudra". Takara savait que pour répondre aux attentes de ce dernier, cela exigeait une détermination minimum en ce qui concernait son nouvel engagement en tant que shinobi. Le véritable travail se situait là, en réalité. Elle ne constituait certainement pas une mauvaise élève au contraire. Comme pour ne pas couper net cette entrevue-éclair, elle ajoutait quelques mots.
Apprend moi cet usage. Cela n'implique pas la moindre violence et me permettra de ne pas gâcher ce temps que tu me consacres, dans le cas où je souhaiterai continuer sur ce chemin là.
Elle esquissait un sourire triste. Non, ce n'était pas un caprice. Une simple requête ; un gain de temps et une once de respect.
Les deux vieux se figèrent dans leur attaque, comme désactivés, vidés de toute intention, ramenés à leur état d'oubliés. Plus loin, l'enfant avait posé ses petits doigts sur la main calleuse du tatoué, il s'y agrippait de toutes ses forces pour ramener son bourreau et créateur à la réalité. Et lorsque les yeux de Shisei se tintèrent d'une lueur d'éveil, la peau de l'enfant se peignit de noir, ses doigts s'allongèrent et la pois noirâtre qui le constituait remonta le long du bras du Suzuri. L'encre retournait à sa place, scellée dans ses tatouages elle s'incrusta dans son épiderme. Le couple d'ancêtre, lui, fondit en une flaque sombre et disparut, drainé par le sol.
-"Comme je te l'ai dit, mon aide ne te contraint d'aucune condition. Et puisque tu estimes ces clones nécessaires à ta quête, commençons par là." Il avait d'autres tours, dans son sac, mais peu de chance qu'ils conviennent à Takara. Aussi, lui apprendre une technique qu'on lui avait également enseignée il y a peu de temps lui sembla une bonne idée, ne serait-ce que pour obtenir un regard neuf sur celle-ci. Un "Suis-moi." conclut son raisonnement, tandis qu'il s'enfonçait dans les artères d'une cité quasi endormie.
-"T'as plus de courage que ce que tu penses, Takara." Un sacrifice plus qu'un atout, parce qu'au final, c'était bien de cela qu'il était question, le sacrifice de vivre dans une profonde solitude intellectuelle, au-dessus de tous, incomprise et engagée sur un cap à l'opposé de celui de son cousin, bien que tous deux soient sans retour. Oh non, Shisei n'enviait aucunement sa place, lui préférant amplement le confort de sa propre condition, faite de facilités et de résignations.
Au détour d'une ruelle, il s'engagea dans un mur éventré pour atterrir dans une cour en friche. Lieu d'abandon où frapper la faible lueur de la lune et où il leur serait plus facile d'exercer leur magie noire.
-"Laisse l'encre s'écoulée et pense à toi." Il répétait les consignes de Ryû qu'il n'avait sues appliquer. Joignant le geste à la parole, il signa lentement les mudra pour donner forme à un clone d'enfant, le même gamin qui était apparu quelques instants plus tôt. "Tu devrais pouvoir créer des clones te ressemblant, toi." Un haussement d'épaule et un sourire gêné accompagna sa remarque, le trentenaire semblait s'être accommodé de cette différence de style.
Du courage ?... J'en doute de plus en plus. Rétorquait-elle, tout en se remémorant les diatribes de Shuuhei. Préservée de la rouille oui, sans doute, mais je n'ai plus cette assurance d'antan... et je ne te cache pas ma peur ; celle de m'effacer définitivement en choisissant le mauvais chemin...
Comment persévérer dans sa voie tout en employant les mêmes outils que l'idéal combattu ? Le message était le messager, toujours. Ce credo ne la quittait pas, et convaincre autrui par la domination physique ne la charmait assurément pas. Quand bien même fallait-il se protéger. Ce dilemme l'envahissait, l'oppressait, mais elle ne pouvait pas entrainer tous ses interlocuteurs dans cette vicieuse spirale qui ne concernait qu'elle même. Elle chassait donc ce sujet de réflexion de son esprit, ou tout du moins le repoussait à plus tard pour mieux se focaliser sur la démonstration de Shisei. Attentive, elle en cernait vite le concept.
Ni une ni deux, Takara déployait ses encres sur le sol, y dessinant un parfait sosie puis le redressait devant son cousin. L'oeuvre d'art dardait ce dernier d'un regard aussi réel que l'original, jusqu'à ce qu'un sourire satisfait se dessine sur son visage. Mais l'instant d'après, tut commençait à s'écouler, glissant vers le bas comme une peinture trop fraiche. Le clone immobile fondait sur place, se reconstituant par a-coups lorsque sa créatrice tentait d'y maintenir sa consistance, en vain.
Ha... Je n'ai pas l'habitude de travailler mon encre sans le moindre support.
Amusée par le côté éphémère de sa création, voilà qu'elle animait une seconde flaque d'encre, une version enfantine de sa propre personne, pour venir en secours du premier essai qui terminait presque son lent effondrement. Une rescousse de faible durée, puisque même la seconde forme rencontrait le même sort malgré son côté miniaturisé.
Le rire du trentenaire résonna dans la petite cour à la vue d'une Takara enfant. "Je l'avais oubliée celle-là. T'as pas trop changé, finalement." et son éclat reprit de plus belle, accompagné par le rire muet de son clone d'encre. Shisei tenta tout de même d'expliquer ce qu'il pensait réaliser en créant ses clones, sans assurance quant au fonctionnement de sa cervelle vermoulue.
-"Le gamin qui me l'a apprise..." Le contexte lui imposa une pause dans sa phrase, l'évidence qui se présenta à eux méritait d'être explicitée à haute voix, comme un démon chassé par son propre nom. "Quoi !? On est nuls, on est nul !? Faut bien se rendre à l'évidence, Takara, bientôt la quarantaine et on est là comme deux couillons, coincés en bas de l'échelle sociale, à essayer de maîtriser un classique inventé il y a trois générations par un prodige de dix ans." Le tatoué ne s'en plaignait pas pour autant, simple constatation factuelle de leur état de shinobi lamentables, deux médiocres et insignifiants pions perdus au milieu de cette chaire à canon envoyée au casse pipe par les villages.
-"Bref... le gamin donc, utilise la terre pour ses clones. Pour mimer son jutsu, j'ai imaginé l'encre comme un amas de petites mottes de terre. C'est con, mais ça semble marché. Ou... ou j'ai pas compris ce que je réussissais." La dernière hypothèse n'était pas à exclure, loin de là.
Il activa quelques mudras et fit émerger un nouveau clone, plus lentement que le premier. Les vagues successives d'encre se mêlaient par à-coups, grossissant une forme qui se fit bipèdes, puis humanoïdes. La matière noire vira à l'ocre, puis les couleurs s'ajustèrent en un noble, vraisemblablement Hijin, marqué d'un liseré rouge au niveau de la gorge, derrière trace reçue de son vivant.
Abandon soudain. Un sourcil d'abord arqué, Takara éclatait finalement de rire. Malgré sa bienveillance, on lui attribuait d'avantage une attitude hautaine que relaxée, et peut-être à raison. Mais pour le coup son visage s'était illuminé face au terrible constat dressé par son cousin. Sitôt lancée sur cette idée, la trentenaire visualisait cette scène : deux vieillissants qui se retrouvaient en cachette à la nuit tombée pour jouer aux shinobis du dimanche. Le fou rire la transformait agréablement, l'embellissait d'une façon plus naturelle que son retrait ordinaire. Cela faisait longtemps, en fait.
Maudit gamin!... Il doit déjà être loin devant nous à l'heure qu'il est. Elle frottait sa dextre contre le recoin de son oeil puis continuait. Bien, mottes de terre donc! S'exclamait-elle, peu convaincante ni convaincue malgré sa main prête à effectuer les mudras.
Nouvelle simulation. Des petites boules d'encre à peine consistantes s'agglutinaient les unes aux autres, plus progressivement, jusqu'à créer le clone de tout à l'heure. A l'inverse, les couleurs ne s'ajoutaient qu'à la fin pour prendre les traits de sa propriétaire. Moins esthétique, on devinait en y regardant de plus près de nombreuses fissures, comme si chaque "motte" d'encre ne souhaitait pas se mélanger les unes aux autres. La nouvelle création commençait à dégringoler comme les deux précédentes, cette fois-ci d'une façon compact, mais probablement plus de la faute à l'insatisfaction de la Suzuri qu'au manque de contrôle exercé. Avant que le tout ne s'effondre, elle armait son pied pour frapper légèrement l'une d'elle de façon à lui faire gagner de la hauteur puis, enchainait de son autre jambe pour frapper de plein fouet - La bulle éclatait presque au contact du pied mais se reformait instantanément jusqu'à fuser vers un muret, y éclatant tout en coloris.
Voiiiilà. Quitte à jouer, autant y aller vraiment. Je ne voudrai pas remuer le couteau dans la plaie en disant que ce gamin est aussi un meilleur professeur que toi, alors laisse moi un peu de temps pour me concentrer... Je pense avoir saisi l'idée. Lui confiait-elle sur le ton de la taquinerie, simplement encore trop dispersée pour parfaire la technique.
Et brusquement elle comprit l'origine de cette technique, bien plus vite que ne le fit Shisei, et ajouta à son essence l'amusement du présent, quand son cousin lui avait apportée les remords du passé. C'en était splendide, à l'image de Takara et des promesses d'avenir qu'elle disséminait en chacun de ses actes. Mais la beauté du geste ne permettait pas tout, et les agents prompts au chaos comme le tatoué restaient nécessaire en ces temps incertains.
-"Oh tu sais, ça fait longtemps que mes propres drôlesses sont meilleures enseignantes que moi." Et la plus jeune venait tout juste d'achever sa sixième année.
Le trentenaire dessina sur le sol une petite pieuvre et l'anima au dernier trait brossé. "Voyons si tes clones sont aussi vifs que tes mots." À défaut de vouloir s'en servir pour l'attaque, elle devrait inéluctablement leur éviter une mort rapide. "Essaie donc de les faire traverser de l'autre côté.
Le poulpe s'agitait de toutes ses tentacules, claquant l'air d'une encre étonnamment vivace et animée d'une intention sans équivoque. Tout être, de chair ou de pois noirâtre, se verrait fouetté par l'animal fictif d'une leçon aussi aigre qu'instructive. Mais sa cousine saurait surpasser l'humiliation d'un échec, aussi Shisei s'écarta pour se fondre dans l'obscurité d'un recoin de mur et laissa à son apprentie d'un soir tout l'espace nécessaire à sa pratique.
Ainsi donc il la pensait prête à en hisser et faire se mouvoir plusieurs ? Takara acceptait l'idée d'un haussement d'épaule, même si leur esthétique demeurait incomplète l'aspect technique devrait convenir, encore que, face à la création plus originale de son cousin il y avait de quoi se demander si ce dernier n'escomptait pas tout simplement assouvir un infime instinct de prédateur. Elle rassemblait donc ses encres, plus sérieuse, puis étalait trois formes distinctes qui se métamorphosaient alors en cette version chibi de Takara. A quoi bon leur donner une taille réelle alors que ces nouveaux clones étaient voués à valser entre de véloces tentacules. Et puis, ce petit exercice aux allures d'un jeu d'enfant s'y prêtait bien. Même si ça n'en était pas un. Dans sa détente, la Suzuri s'était certes adoucie, mais son regard ne perdait pas le fil des pensées de son interlocuteur. Shisei disposait de recul et d'enthousiasme, pourtant une part de lui avait été, à l'instar d'un sceau, consacrée irrémédiablement à un art de vivre qui ne cesserait de perturber sa conscience. Là où elle se plaisait présentement en sa compagnie à jouer d'un chakra inoffensif, lui, enseignait une méthode cruciale face aux aléas du Yuukan et de ses dangers.
Bientôt il se retira, la laissant au cœur de son quatuor avec dans sa ligne de mire le poulpe peu sympathique. Voilà qu'elle hésitait. Les clones étaient maintenus, s'agitant doucement dans l'unique but de vérifier leur contenance, mais la trentenaire peinait encore quant à l'idée de les envoyer au casse-pipe. Elle savait bien que cette tentative était perdue d'avance. Vitesse ? L'air fouetté par la bestiole d'encre indiquait un avantage en faveur de celle-ci. La dispersion ? Evidemment, mais en faire un usage plus sécuritaire impliquait que les clones quittent la cours ; disqualification. Attaquer ? Tss. Du coin de l’œil, la kunoichi dardait la direction empruntée plus tôt par son cousin.
Allons-y. Déclarait-elle soudainement, donnant l'ordre d'un geste de la main.
Geste qui ne s'interrompait qu'après une rotation du corps entier - Entre ses doigts, une bille habilement projetée aux devants du poulpe. Les jeunesses Takariennes emboîtaient le pas au moment de l'explosion de pois, se déportant chacune d'un côté alors qu'une autre tentait le grand saut au dessus de l'obstacle tentaculaire. L'idée était là. Ce n'était pas vraiment de la triche, après tout. Juste un brin de malice.
L'animal noir enroula une cheville s'étant approchée à l'aide d'une tentacule, avant de l'attirer d'un geste aussi vif que violent jusqu'au sol. L'encre du clone explosa en une marre poisseuse, puis plus rien. Désœuvré, le poulpe pivotait sur lui même, balayant la fumée de ses membres agités dans l'espoir vain d'attirer une créature supplémentaire jusqu'à lui, un être à son image avec qui partager la folie de son créateur en cette nuit d'étude. Mais il ne trouva que la solitude mêlant les ténèbres à la brume.
D'un signe de la main, Shisei envoya son poulpe compléter la flaque d'encre, avant que le sol ne s'imprègne de ce fiasco se voulant enseignement. Deux clones étaient passés sans difficulté, renvoyant le tatoué à ses propres limites. Ce nouvel acte manqué s'agglomérait à la longue liste d'échecs passés, dure résignation face à l'histoire de sa vie.
Ni tricherie, ni coup bas. L'art ninja offrait toutes les possibilités et seuls les faibles se limitaient aux règles d'un honneur désuet. Aucune limite ne s'imposait aux conflits et les guerres propres n'étaient qu'une invention politique pour maintenir l'engagement d'une nation derrière ses soldats. L'obscurité s'épaississait du froid de la nuit tandis que la fatigue gagnait le trentenaire, signe d'un entrainement touchant à sa fin.
-"Je ne pense pas avoir grand chose de plus à t'apprendre pour ce soir, Takara. L'expérience restera la meilleur des formations... et les missions ne manquent pas." Lui-même devait en débuter une le lendemain avec deux autres camarades, naturellement plus jeunes et plus doués que lui. Shisei réapparut au milieu de la cours, les paupières tirées par la fatigue qui s'accumulait. "Je rentre me coucher pour ce soir. Mais repasse nous voir dans la semaine, les filles ont beaucoup à apprendre de toi." Enigmatique aveu d'un père cherchant des modèles pour ses enfants, des modèles durables offrant la pédagogie de sujets qu'il ne comprendrait jamais vraiment, trop enfoui dans l'horreur d'un temps bientôt révolu.