En cette période incertaine où chacun pouvait prétendre à de nouvelles opportunités, un groupe de montagnards du Nord eut la grosse tête. Une belle bande d'enfoirés, des brises noix permanents qui ne s'arrêtaient jamais à une chose, ayant toujours un coup d'avance en terme de saloperie et qui, après la défaite de Kumo, aspiraient à une renommé plus grande. En somme ? Des petites frappes qu'il fallait tuer dans l'œuf avant que leur aubaine ne fusse réalité.
Accompagné de son ancien camarade Zai, retrouvé vivant et avec joie après les combats, Mu patientait dans une auberge désaffectée où il discutait depuis presque une vingtaine de minutes, seul.
-"...tu sais, Zai, des fois je me dis que tu es aussi muet que je suis aveugle." Le Masqué de Sang ne pipait que rarement mot, préférant à l'éloquence le silence des sages... ou des fous. Le doute restait permis. "Bref... ils ne devraient plus tarder, des silhouettes approchent par la ruelle donnant sur le cellier." La veille, l'information d'une rencontre en ce lieu traversa le voile de fumée de l'Encenseur. Il ne put mettre le grappin sur le Géant d'Albâtre, Nobusada, alors son plan souffrirait d'un manque certain en force de frappe. C'était toujours plaisant de sentir l'effet produit par la seule présence de Nobu', assurément plus que ses sons dévastateurs.
Une première tête passa l'embrasure de la porte avant de s'en faire éjecter par la frappe de l'encensoir métallique. Une gerbe de sang vola dans leur direction lorsque Mu rappela son arme à lui. Et du plat de la main, il invita son ami rouge à prendre part aux joyeusetés. Moins de discussion, plus d'actions. Du pain béni.
Leur mission très personnelle se résumait en un massacre pur et simple pour installer un seul et unique groupe de joueurs en ce lieu : les trois tarés mercenaires et derniers représentants du groupe de feu Shuuhei. Une larmichette ? Très peu. De la nostalgie ? Encore moins. Seule la tradition perdurerait avec quelques petits changements opportuns pour leur assurer un contrôle parfait de la situation.
Alors que Zai observait l’œil curieux la multitude d'êtres humains qui s'affairaient à la reconstruction de la ville, airant sans autre but que de passer le temps et tuer l'ennui, à défaut de pouvoir éventrer qui que ce soit, un étrange type à l'air péteux et autoritaire l’accosta. Un drôle de bonhomme qu'il était, les yeux fermés, à trimballer dans les airs un truc qui puait la mort et qui lâchait des volutes de fumée à vous en faire cracher vos poumons. Peut-être bien que le malheureux voulait que Zai lui rende service en lui séparant la tête de ses épaules, et alors qu'il mettait la main à son sabre pour exaucer un souhait qui n'existait que dans sa cervelle en morceaux, l'aveugle prit la parole, d'une voix amicale et joyeuse, presque familière. Il lui raconta tout un tas d'trucs sans queue ni tête pour en venir au sujet d'un massacre future et d'une alliance en souvenir du bon vieux temps.
Sa lame retourna dans son fourreau sans un bruit et Zai décida de suivre l’énergumène. Il ne faisait aucun doute que le prêtre le connaissait, son lui d'avant, et même s'il n'avait aucune envie de retrouver la mémoire, son petit doigt lui chuchotait que l'accompagner serait toujours plus intéressant que de regarder des ouvriers sur un échafaud, priant pour que l'un d'entre eux s'écrase sur les pavés.
Ils étaient donc tout deux entrain de siffler bière sur bière, l'un aveugle, l'autre aussi silencieux qu'une tombe. Zai, incapable de s'asseoir convenablement était accroupi sur sa chaise, il ne lâchait pas son acolyte du regard, de ses grands yeux hagards d'un blanc laiteux, il l'écoutait parler sans rien dire, sur le cul, ou plutôt le cul sur les talons, devant ce flot ininterrompu de paroles. Ainsi hypnotisé, le mercenaire en combi de sang ratait souvent sa bouche avec la chope de bière, et une petite flaque commençait déjà à se former sous lui. Pour tout dire, peut-être même qu'il s'agissait de pisse étant donnée l'odeur, ou au moins un mélange des deux, la vérité étant que Zai n'avait pas eu le temps d'en placer une pour s'excuser aux chiottes; règle n°22: toujours rejeter la faute sur les autres.
Une question lui grattouillait cependant fortement la glotte et alors qu'il se décidait enfin à la lâcher, à cracher d'une voix insolite un pathétique "Euh... T'es qui déjà?" l'arme du faux religieux en question fracassa la tronche d'un curieux derrière lui. Les hostilités avaient enfin commencé, au grand dam d'un Zai perplexe, sur sa faim.
Il sauta alors au lustre du plafond en criant "Gare!" et s'y percha comme une chauve-souris, les câbles craquèrent sous son poids mais tinrent bon. Ses deux sabres brandis devant lui, il se mit à se balancer de plus en plus fort jusqu'à tourner en rond autour de la pièce, tranchant dans la bonne humeur et sans favoritisme, quiconque se trouvait à portée de ses lames jumelles.
La grandeur de l'Empire vaincra le monde et le monde connaitra la véritable paix. Les ennemis de la couronne sont nombreux et comptent parmi eux, les plus grandes nations du Yukan. De ce fait, chaque homme, chaque femme, chaque soldat appartenant au retour de flamme se doit de mettre toutes ses forces dans ce dernier pour avoir le plus de chance possible de vaincre. Si une première victoire sur la Foudre est à célébrer aujourd'hui, il n'en ai rien des autres. L'Eau et la Terre sont encore bien puissant et les survivants du massacre actuel sont de potentiels alliés à ces derniers. Le Teikoku venait de gagner une bataille, mais pas la guerre. loin de là.
C'est conscient de ce fait, que le 刺客 Shikaku (litt. assassin) s'enfonce un peu plus dans la ville pour continuer sa prospection comme sa propagande. N'importe qui est invité à rejoindre l'Empire, la moindre personne pouvant contribuer à l'expansion du Pays du Feu. Femme, homme, enfant, peu importe. Tous sont capables de tenir une arme. Tous, sont capables de vouer allégeance à l'Empereur Rei - Briseur d'Esprit & Conquérant de la Foudre -.
Et d'un pas serein, savant ses ennemis au plus mal, la samouraï se dirige alors vers une auberge à l'allure pittoresque de part les dégâts reçus durant le conflit. Un batiment presque en ruine, reconstruit par certains civils habitants ici depuis comme qui dirait un bon moment.
Poussant la porte de la ruine, attiré par le vacarme qui s'y trouve, la faciès du guerrier tire la gueule, quand il découvre les rats qui s'y trouvent. Un premier tatoué de la tête aux pieds et un second, en combinaison sadomasochiste en cuir rouge. Celui que certains surnomment のっぺらぼう Nopperabou ou spectre sans visage, s'avance au coeur de la bâtisse à l'instant où le second balance ses deux lames à travers la salle et qui, au hasard, se dirigent vers le Hijin. Par de simples gestes de la nuque, la gueule de chien laisse passer derrière lui les aciers de l'homme pour se planter dans le mur encore sensible de l'auberge, avant de constater les nuisibles de son regard impétueux.
« On dirait que certains s'amusent bien par ici ... » dit-il, laissant sa voix grave et puissante résonner à travers la salle.
Il s'avance alors, laissant un premier silence transparaitre pour annoncer officiellement sa venue en cette nouvelle journée signant la conquête de Kumogakure no Satô par le Teikoku.
« C'est le nouveau salon des masochistes ou une réunion du genre ? On m'avait pas dis que les Kumojins s'adonnaient à ce type de pratique. Vous êtes vraiment bizarres ... »
À l'épicentre du bal morbide et circulaire qu'orchestrait son acrobate de compagnon ahuri, Mu renvoyait les rares survivants du faucheur fou en-dehors de la pièce. L'encens brûlait dans son arme divine et viciait les âmes d'une fumée sournoise. Chaque coup d'estoc surgissait de l'épais nuage grisâtre, n'offrant alors aucune chance d'esquive aux cibles qui tombaient, inéluctablement.
Au travers des effluves de fer, de sang et de chair en décomposition -merci Zai-, l'odeur plus claire de terre mouillée propre aux soirs d'averse estivale ou aux chaudes matinées d'automne vint titiller les narines de l'aveugle. Puis tonna ce timbre unique de par sa signature caverneuse, tandis que l'ensanglanté continuait de violer le lustre lui servant de cheval.
Cette silhouette à l'aura funeste, cette senteur, cette voix, Mu en était persuadé maintenant... il ne les connaissait pas. Et dans le doute, le trentenaire envoya son encensoir balayer l'intrus, précédé de sa fumée pour lui encrasser yeux et poumons.
-"Notre établissement s'attend à un certain standing de la part de ses occupants. Navré, nous ne pouvons nous permettre d'accepter le premier chien venu essuyer sa queue humide." Sa voix, tout aussi grave mais bien plus détruite que celle du moqué accompagna une nouvelle offensive.
L'arme bénite du saint déchu parcourut la salle en direction de la position du tas d'humus mouillé, tandis que le flot de barbares se déversait encore et toujours au milieu des ruines de la bâtisse, tapant sans distinction les trois Hijins. À croire que les montagnes elles-mêmes vomissaient leurs enfants malformés, jetant ainsi leurs rejetons en pâture aux deux démons Hijins campés dans les flammes des Nuages embrasés.
L'horreur et l'absurde composaient le monde de Zai et Mu, l'inconnu devrait s'en satisfaire s'il souhaitait les approcher davantage.
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"Sois subtil jusqu'à l'invisible, sois mystérieux jusqu'à l'inaudible."