Triste cérémonie. Aujourd'hui, le clan tout entier - à l'exception de ceux hors de la cité - a commémoré. Un seul réel enterrement, plusieurs défunts. La majorité contenue dans des urnes non via un petit tas de cendre, mais de l'encre pure. Un instant solennel et attristant pour tous. Takara ne s'était pas préoccupée de pondre le moindre discours, quand bien même la perte de Shisei l'affectait froidement. Il y avait parmi les victimes quelques enfants et deux anciens. D'autres avaient été affectés par la Résonance d'une manière plus pondérée, étonnante même. Mais ce jour ne concernait que les pertes réelles. La trentenaire avait présentée ses condoléances à Midoli et aux filles, la petite famille de son cousin pourrait évidemment toujours compter sur elle, même s'il y avait de fortes chances qu'elle quitte Kumogakure pour s'installer ailleurs dans le pays. Il n'y avait rien à faire. Ces filles grandiraient sans père. Ce bougre était mort au combat, ce n'était pas la Résonance qui était venue à bout de sa vieille carcasse, cela aurait pu arriver n'importe quand, car telle était la vie qu'il avait choisi. Malgré ses démons. Malgré sa façon de pensée pourtant bien plus nuancée que nombre de ses confrères.
En ce jour, l'abattement du clan s'avérait particulièrement palpable. Les familles ? Décimées. Les shinobis ? Désarçonnés. Les anciens ? Dépassés. Takeshi ? Accablé. Chacun se retrouvait rongé par des introspectives aussi personnelles que troubles, il n'y avait plus réellement de direction ni de motivation commune.
Takara elle, avait plus ou moins déjà digéré les événements. Que ce soit une qualité ou un défaut, sa résignation prédominait. Le jour J l'avait pourfendu comme jamais, mais chaque nouvelle lune l'amenait à se montrer toujours un peu plus forte, ne serait-ce que pour apaiser le fardeau des autres. Elle ne pouvait guère faire plus, si ce n'est reproduire la normalité d'antan là où d'autres abandonnaient, déprimaient, ou trouvaient de l'énergie dans la colère et des quêtes névrotiques. Cette sordide réunion suintait la lourdeur et la souffrance. Normal. Il était encore trop tôt, les périodes de deuil étant propres à chacun, seul le temps et les petites actions bienveillantes adouciraient la situation.
Elle, demeurait discrète. L'absence de mot ne signifiait ni l'absence d'émotion ni l'absence d'initiative. Suffisamment de larmes, que ce soit lors du jour funeste ou les soirs passant. Les yeux désormais secs et l'esprit épuré, elle s'était efforcée de tourner la page en première de façon à appeler une nouvelle aube.
La première, elle quittait le comité après avoir embrassé la femme et les fillettes de Shisei. Elle avait besoin de respirer, changer d'atmosphère. Elle ne pouvait à la fois maintenir son état d'esprit enclin au positivisme tout en demeurant dans cette tourmente de sanglots. A la sortie du cimetière, elle descellait de son châle un kiseru, petit objet dont elle avait fait l'acquisition après sa rencontre avec Hisao. Plongée dans son mutisme de coutume, elle inspirait quelques bouffées puis soupirait lourdement.
Kansei n’était pas homme à jouer le shinobi éploré pour une perte humaine, encore moins quand elle concernait des personnes qu’il ne connaissait ni d’Adam ni d’Eve. Toutefois, il était un être plein de respect bien conscient du devoir de mémoire. En tant qu’ennemi comme en tant qu’allié, le Nara croyait dur comme fer à l’obligation de ne pas oublier, jamais. Les décisions prises après un tel événement, que ce fut la Résonance ou la conquête de Kumogakure no Satô devaient n’écarter aucun paramètre. Loi du Talion ? Bien sûr que non, l’Ombrageux ne l’avait jamais préconisé. Comment aurait-il servi deux ans ici si ce n’était pas le cas ?
Dans l’assemblée, vêtu d’un noir qui ne détonnait pas dans l’assemblée Suzuri, délesté de ses armes, de son épaulière cassée et son rouleau, il semblait un brun de plus dans la foule, parfaitement calme et solennel pendant les ordres funéraires propres aux coutumes des Historiens de la Foudre. Et il endura ainsi la morosité ; comme un rappel de ce qu’un mauvais choix pouvait coûter. De ce que la fureur pouvait provoquer. Et c’est avec l’image de ses deux soeurs en terre qu’il affûta sa détermination, muet et immobile. Certains le sachant Teikoku semblait le regarder avec dépit, d’autres avec dégoût. Pourtant, il resta jusqu’aux derniers mots et se prépara à prendre la tangente l’esprit passablement affecté quand il discerna au loin la forme d’un être déjà rencontré par le passé ; un passé récent. Takara.
Sans surgir de l’ombre comme on aurait pu s’y attendre d’un Nara, il emboîta son pas et ses jambes plus longues aidant, il fut bien vite à son niveau. « Konbanwa, Takara. » Il hocha la tête de quelques centimètres pour s’introduire, continuant de marcher à un pas plus raisonnable et plus propice à parler. « Mes condoléances. » Sobre et peu pourvu d’émotions, il le pensait pourtant pleinement et sincèrement.
« Content de te savoir saine et sauve. » Il lui adressa un court et simple sourire bienveillant, prouvant la véracité de ses dires.
Oh... Laissait-elle s'échapper faute à la surprise, vraisemblablement trop préoccupée pour avoir envisagé ce cas de figure. Une nouvelle retrouvaille. Même si elle n'était pas lointaine, le temps occupait d'avantage l'espace ces derniers jours. Merci.
Décidément... Ce Nara ne la rencontrait que dans ses moments les plus faillibles. Bien qu'aujourd'hui il ne trouverait certainement pas le moyen de lui changer les idées. Ironiquement, ce rôle là revenait généralement à Shisei. En faisant le point, Takara ne comptait ni confidents ni réels amis, jusque dans sa famille où les liens, s'ils étaient puissants, ne représentaient pas vraiment d'équivalence. En revanche, ce cousin était un ami - un frère. La preuve étant qu'il faisait parti des rares à ne jamais perdre le fil de leur relation sans voir son jugement altéré par les distances instaurées par la trentenaire tout du long de sa vie. Elle venait, elle repartait. Comme Shuuhei le répétait souvent, elle était égoïste. Voilà comment les gens pensaient. Voilà pourquoi les vrais amis étaient rares. Enfin.
J'ai été épargnée, oui.
Double sens sans doute involontaire cette fois-ci. Car au combat elle avait été vaincue. Mais surtout, la série de châtiments ne l'avait pas atteinte si ce n'est psychologiquement. Physiquement, pas la moindre anomalie ni égratignures, si ce n'est le souvenir d'un coup de bâton sur le bout de ses doigts. Il y avait pire blessure de guerre.
Le regard vague, elle ne pouvait rendre à son interlocuteur qu'un sourire à l'intensité amoindrie. Elle ne savait pas non plus ce qu'il vivait, ni même s'il avait troqué son bandeau. Pour ce dernier fait, cela ne représentait pas la moindre importance. La cité survivrait et se développerait, peu importe son étendard. Même si la fierté Metaru semblait voir les choses sous un autre angle, vu la défection de certains membres et le sort réservé à l'industrie. La ville aurait pourtant bien eu besoin d'eux et de leur bâtisse bâtant son plein.
Tu les connaissais ? Le questionnait-elle fébrilement tout en reprenant une douce inspiration de fumée. Pour sa part, elle n'avait pas en tête de s'enquérir des autres cérémonies - A chacun ses peines. Ce genre d'événement pesait déjà assez lourd sur l'esprit pour en redemander plus encore. Dans tous les cas j'imagine que je dois te les présenter aussi, les condoléances.
Le ton quelque peu aigre, elle ne cherchait pourtant pas à se montrer cynique ni désagréable. La fatigue l'affublait d'un tempérament un brin lunatique, à force de générosité, ses instants de solitude devenaient absolument nécessaires pour se recharger et ne pas dévoiler sa propre irritation. Kansei s'était jetée sur elle un peu trop tôt, mais il n'aurait pas de mal à comprendre. Surtout que la Suzuri, dans ses fautes, avait pour habitude de rapidement reconnaître ses tords et corriger le tir, quand bien même le contexte global aurait pu justifier à sa place son manque de délicatesse actuelle.
Elle semblait affectée par la procession, d’une manière propre à elle-même. Il ne chercha pas vraiment à gratter plus que de raison et resta le Kansei qu’elle avait connu, impassible et taciturne, enclin pourtant à la discussion et à la compréhension.
Quand elle souligna sa survie, sans en saisir le double-sens avec le peu d’informations dont il disposait prétendument, le shinobi se contenta de lui adresser en guise de réponse une simple moue provenant du bas de son visage. Bien sûr qu’il ne se réjouirait pas de sa mort, de là il était facile de comprendre sans qu’il ne se mette à louer les dieux qu’il se satisfaisait de sa condition.
« Certains d’entre eux. Des collègues, des camarades. » Il ne s’évertua pas à citer leurs noms comme le devoir de mémoire que certains s’imposaient pouvait le suggérer. Il se contenta d’un hochement de tête à ses condoléances. Comme si tout cela ne l’affectait que peu ou pas ; fidèle à lui-même. Se drapper de faux semblants n’étaient pas dans ses prérogatives. Alors il marcha.
Elle semblait dans une phase où la bienséance n’était pas de mise et il le comprenait. Il embrassait même à bras le corps le contexte car il n’était après tout pas friand des mots déguisés, y préférant la réalité telle qu’elle pouvait être.
« Si je puis t’apporter un peu de paix, alors j’en suis satisfait. » Faisant directement écho à certaines paroles de leur prime discussion au sein de sa forêt, le Nara se tut finalement. Seul le bruit de ses pas heurtant le pavé continuait de trahir sa position et sa présence, s’effaçant pour laisser à la femme à ses côtés tout loisir de profiter d’une possible solitude sans qu’elle puisse le faire se sentir insulté.
Commençons par partir d'ici, ce serait un bon début.
S'était-elle exprimée rapidement, lui intimant de la suivre d'un geste de la main après avoir rangé son kiseru. Sa dynamique déjà amorcée avant l'apparition du Nara, elle ne le percevait pas comme un élément pesant et l’entraînait donc à sa suite afin de s'extirper de cet événement devenu épuisant. Le domaine clanique évidemment proche, ils ne tardaient pas à atteindre le domicile de cette dernière. Elle déverrouillait la porte d'entrée d'un simple touché ; actionnant un des sceaux qui parsemaient naturellement son quotidien.
L'appartement s'ouvrait au gré d'une atmosphère changeant du tout au tout. Lumineux, à la fois sobre et coquet, particulièrement épuré et dont chaque mobilier ou objet semblaient situés parfaitement à leur place. Le duo débouchait sur un lieu modeste mais assaini. Il y avait trois autres portes, dont une également scellée. La trentenaire progressait vers sa cuisine ouverte qui occupait toute une façade de la pièce, lançant le feu propice à la préparation du thé. Elle se tournait ensuite vers son interlocuteur.
Installe-toi. Lui ordonnait-elle presque, son tumulte intérieur visiblement encore actif au point de saper sa cordialité habituelle. Même si tout en cet endroit appelait à l'apaisement, sa propriétaire y apportait actuellement une note orageuse. La paix est déjà là, parait-il. Je ne sais pas si tu peux m'en apporter d'avantage, par contre moi je peux t'offrir un thé. Tu as mangé ?
Nervosité ou non, ses propos quoique expéditifs demeuraient toutefois bienveillants.
Comment se porte ton clan ? La foret ?
Des sujets anodins mais un véritable intérêt. Elle laissait s'écouler les mots tout en retournant à sa tâche, préparant les aromates. Elle n'avait pas prévu de se retrouver avec quelqu'un sur les bras, mais visiblement cela ne la dérangeait pas plus que cela, lui changerait l'esprit au moins quelques instants. Takara n'en demandait pas vraiment plus. La journée serait encore longue, le clan se réunirait de plus belle quelques heures plus tard après la cérémonie.
Il proposa comme réponse à la blonde cuivrée un simple hochement de tête et des pas loin d’être militaires, tirant plus sur la lassitude. Kansei était affecté par tout cela à un certain degré étranger à la majorité des Kumojins et des Teikokujins. Engrenages complexes que ceux régissant son esprit, lui inculquant des valeurs que certains trouveraient vétustes et d’autres louables ; qui pouvaient le ronger et le réconforter dans la même heure. Paradoxe de l’homme drapé dans les ombres s’efforçant de répandre une lumière réconfortante sans vraiment l’avoir saisie entre ses doigts au préalable. Le pouvait-on vraiment, toutefois?
Kansei analysa le sceau servant de verrou. En soit pas plus difficile à forcer qu’une serrure mais demandant un set de compétences que tous ne pouvaient pas se targuer d’avoir, au contraire d’un bon pied de biche et d’un peu d’huile de coude. Il lâcha les inscriptions du regard et constata qu’elle l’invitait chez elle, ce qui était une attention que certains n’auraient pas eu quant à sa nouvelle affectation. Peut-être le chasserait-elle en l’apprenant. Ou peut-être le savait-elle déjà.
Il la laissa s’occuper de ses préparatifs et jeta une rapide oeillade circulaire pour contempler son lieu de vie qui se voulait assez confortable pour donner envie d’y passer du temps. D’une certaine façon, il ressemblait foncièrement à là où il se serait imaginé Takara. Son ordre fut accompli par un Kansei qui prit son temps pour se poser sur ses genoux et se mettre au niveau de la table, ne faisant pas un seul mauvais pli sur sa tenue d’un noir corbeau.
« Chacun trouve midi à sa porte. Ce sera avec plaisir. » Il offrit un maigre sourire à son hôte. « Pas vraiment, l’appétit n’est pas le même en ces temps particuliers. » Si elle l’invitait à s’attabler autour d’un repas, ce n’était ni un refus ni une sollicitation. Quelque chose entre les deux ?
Kansei avait remarqué l’état d’esprit de la demoiselle, ou au moins s’en doutait-il. « Des pertes, comme dans beaucoup de familles. Pour ce qui est de la forêt, elle a eu la chance d’être épargnée. » Il sembla un instant rayonner en lâchant le dernier mot, comme un soulagement.
« Qu’en est-il de toi ? De tes études et de tes projets ? J’imagine que le contexte peut être perturbateur. » Ses yeux se posèrent sur les flammes, remontant jusqu’aux cheveux tressées de la femme Suzuri.
Elle haussait les épaules, apportant finalement une tasse de thé jusqu'aux mains du Nara. Il n'y aurait pas d'entre deux si celui-ci n'avait pas faim, chez Takara le grignotage était proscrit et sa cuisine la cantonnait à deux repas par jour sans bonus quelconque. Prenant place à son tour face à son interlocuteur, elle se sustentait d'une gorgée surtout dans l'idée de se réchauffer. Le climat était bon en cette période de l'année, mais le cœur meurtri et les émotivités rebelles lui avaient glacé le sang, littéralement.
C'est déjà ça... Les hijins ont été plus tendre avec les lieux qu'avec leurs occupants durant l'assaut. Mais force est de reconnaître que la suite de leur "plan" tient la route ; ils nous laissent pleurer nos morts, reconstruire ce qui a été détruits. Nous sommes libres dans ce malheur... Une "chance" certes, c'est un mot plus doux à l'oreille que "stratégie". Enchaînait-elle, amère, plus en réaction instantanée vis à vis de ce qu'elle avait perdu que par réels ressentiments à l'égard de l'ennemi. Mais c'est la vie. Les choses devaient se passer ainsi.
Elle baissait la tête après avoir avorté d'elle-même sa rancœur. La Suzuri avait consciente que contrairement à d'ordinaire ses paroles manquaient de sagesse ou de réflexion, elle déversait juste un trop plein de songes. Kansei avait comme don d'être une personne au moins aussi réfléchi qu'elle, si ce n'est plus, et endossait sans mal le rôle qu'elle pouvait parfois revêtir auprès des autres. Voilà pourquoi sa présence ne la dérangeait pas. En réalité, elle savait en avoir besoin à l'instant même où il était apparu comme par magie.
Moi ? Une notion mise de côté, ces derniers jours, d'où un zeste de surprise. Le clan est ravagé. Tu le sais certainement, nous étions déjà en proie à des démons avant - Fragilisés. Rien que les conséquences d'une guerre perdue et son lot de pertes seraient venues à bout de certaines réflexions déjà menées en interne, mais... ce fléau. Nous le nommons désormais la Résonance. J'ai comme l'impression que certains parmi les miens ne s'en relèveront pas.
Car il y avait bien plus de victimes que de morts, en réalité. Le clan Suzuri souffrait déjà d'un passé tumultueux mais aujourd'hui, ses effectifs s'avéraient considérablement amoindris, ses valeurs en second plan depuis trop longtemps faute à l'essor du système shinobi en confortaient trop peu pour leur permettre de se ressaisir d'un bloc. Au contraire même, les partisans du système souffrant de l'échec et de l'occupation, même si cette dernière ne relevait rien de tyrannique. Takara souffrait encore du choc, mais tous ces autres facteurs ne l'atteignaient pas vraiment. Un nouveau souhait s'était formé, celui d'apporter un second souffle à sa famille, même si elle devait s'époumoner au milieu de la détresse et des réticences au départ.
Comment un clan aussi "majeur" a t-il pu tomber si bas... Avouait-elle. A une époque, personne ne parlait ainsi. Clan majeur, mineur... Juste nous vivions, brillions. Portés par des convictions qui ne connaissaient nul obstacle. Je suis sûre qu'aujourd'hui encore, le nom de Kaldea ou Wo piqueraient à vifs certains de mes cousins. Pourtant, en mon for intérieur, je suis certaine que ces derniers peu importe leur chemin étaient portés par la volonté profonde de mon clan - Repousser les limites du savoir, qu'importe de se retrouver à contre-courant. Même si je peux me tromper, je préfère leur laisser le bénéfice du doute plutôt que les condamner... Car il y avait en eux cette étincelle qui fait de plus en plus défaut aux miens. E... Excuse-moi, je divague. Souriait-elle, tristement, bien que ce monologue à haute voix lui semblait en cet instant précis plus précieux que de ressasser la stupeur évidente des événements actuels. Ils sont partis car quelque chose a su capter leur attention, au delà de leur sagesse et de leur recul, au point de les changer... Ils sont partis car le clan dans son ensemble n'a plus cette essence d'antan. Son regard ne se porte plus assez haut. Il est devenu faible. Presque vide.
Le regard trouble, Takara s'apprêtait à reprendre une gorgée avant de se réaliser qu'elle avait déjà terminé sa tasse sans s'en rendre compte. Son interlocuteur devait la prendre pour une folle... car elle semblait déphasée, sans parler du fait qu'elle ne répondait pas vraiment aux questions posées. Mais ce n'était pas faute au choc, pas seulement. Si le contexte récent déployait l'abattement parmi les siens, chez elle il s'agissait désormais de l'inverse. Cela faisait ressortir beaucoup de choses. En expliquait d'autres. En commençant par la raison pour laquelle elle avait toujours opté pour la solitude. Cela ne lui convenait toutefois plus.
L’Ombrageux réceptionna le récipient chaud contre lequel il apposa ses paumes, bien que le temps estival ne demandait en rien de se réchauffer. Un instant, il en contempla le fond au travers des vagues que faisait la boisson.
« Je ne sais point si elles le devaient, mais les faits sont ce qu’ils sont. Effectivement le nouveau régime semble propice au vivre ensemble au moins pour l’instant. Un peu de douceur dans quelque chose si dur à avaler. » Elle avait complètement raison. Chaque pièce déplacée par Rei menait à un but plus grand et son comportement et sa politique ne trompait pas l’Ombre ; pour arriver à ses fins, la conquête totale, ce dernier se devait d’acquérir les anciens Kumojins sous sa bannière. Il ne pouvait se battre sur tous les fronts, si tant était qu’il prévoyait après cette annexion d’autres coups d’éclat.
Il marqua son visage de la même accalmie, une lueur compatissante sans être insultante pour refléter pitié ou compassion exacerbée. « Quand les miens sont partis du Pays du Feu, c’est ce que j’ai ressenti. Certes, nous n’avions pas la Résonnance ; seulement un Daimyô corrompu par des voeux hors d’atteinte. Reste que selon moi un clan reste un clan tant qu’au moins un de ses représentants porte ses idées. Alors je ne m’inquiète pas pour les Suzuri et leur quête si la Femme rencontrée dans la forêt reste elle-même. » Il hocha doucement la tête et porta une première fois l’eau bouillante aromatisée à ses lèvres.
Kansei connaissait les maux de Takara et il ne trouvait en substance ni cela étonnant, ni même triste. Seulement une étape à vivre qui la mènerait à une autre. Et c’était celle-là qui pouvait être effrayante.
« Comme les noms de Alderan ou Seijiro. Je suis d’accord, les deux que je viens de citer aussi servaient à leurs manières les intérêts centenaires des Nara. Qui sommes-nous après tout pour condamner quiconque ? » Une lueur encore inconnue à Takara brilla dans le regard charbon de Kansei. « Ne t’excuse pas. Le plus important est d’apprendre de ces personnes ; je n’exorte pas à les copier bien sûr. Mais s’ils ont agi c’est sûrement pour des raisons que nous n’avions ou n’avons pas. Alors nous sommes les garants de leurs parcours et grâce à eux, peut-être que ce que tu qualifies d’essence prendra tout son sens. Un jour. »
Il prit une autre gorgée. « Tu es une personne intelligente, c’est l’idée que je me fais de toi. Ceci étant, il n’est pas difficile de tirer le meilleur de tout cela. Rien n’arrive sans raison m’a dit un prêtre blanc il y a peu. Je ne verse pas dans le religieux mais pourtant nous voilà à converser. Nous, les enfants des clans “majeurs”. Et pourtant, je ne me sens pas supérieur à un Sarutobi ou un Yamanaka pour autant. Toi non plus. » Optimiste ? Peut-être. Ou peut-être pas ?
Les paroles du Nara ne manquaient pas de la conforter. Non pas parce qu'elles étaient parsemées de quelques louanges à son égard mais plutôt parce que le vécu de son interlocuteur lui permettait pleinement de concevoir la situation dans laquelle elle se trouvait. Enfin, parce qu'il ne perdait pas de vue une finalité chère à la trentenaire : Celle d'en trier et soupeser l'ensemble afin d'envisager le mieux.
Nous ne nous sommes pas rencontrés dans la foret, c'est toi qui m'y a emmené. Après.
Cette remarque d'allure anecdotique s'était échappée comme seule réponse à la conclusion apportée par Kansei, bien après qu'il lui ait rappelé ce souvenir. Cela faisait pourtant sens comme réponse, par gratitude mais aussi et surtout pour appuyer le fait que son influence d'alors était une fois encore honorée en ce jour, par sa sollicitude et sa clarté. Elle le gratifiait d'un mince sourire puis déposait sa tasse vide sur la table basse. Cette courte réflexion l'ayant visiblement suffit à se recentrer, elle reprenait sur un ton plus neutre.
J'ai toujours été une individualiste, Kansei. Si ma récente décision de revêtir le bandeau shinobi avait comme sens de m'ouvrir de nouveaux chemins, tous ces événements m'amènent de plus en plus à penser que nombre d'entre eux sont soit piégés soit des leurres. Veiller sur Kumogakure, soutenir mon clan, oui, jusqu'à un certain point je l'ai souhaité. Mais au delà ?... Si je t'expose ce triste résumé sur mon clan, ce n'est peut-être pas pour lui trouver une solution. Peut-être même qu'un jour, j'en viendrai finalement à abandonner ce nom.
Le recul et la résilience la constituaient, mais non la passivité. Soit elle finirait par endosser des responsabilités jusque là esquivées ou déconsidérées, soit elle retrouverait sa voie initiale via un ultime détachement - Celui de son clan. Peut-être même pour des raisons identiques à Wo, si tant est que quelqu'un les connaissait réellement. Ou simplement car elle ne l'estimerait plus assez raccord avec sa propre vision des choses.
La problématique avec le domaine du religieux, c'est que tout dépend si nous versons dans la spiritualité ou dans la superstition. Aujourd'hui, je ne suis plus une "shinobi de la foudre". Quelle ironie: J'aurai consacré plus de temps à en accepter les conditions qu'à véritablement les accomplir... Et donc d'une certaine façon, je pourrai aussi considérer que la vie me met en garde et m'intime de revenir sur ma décision avant qu'il ne soit trop tard.
Alors, d'après toi, un telle pensée relève plutôt d'une note spirituelle ou de la vague superstition ?
Takara le regardait alors avec malice, abandonnant définitivement les dernières teintes de tristesse, d'avantage curieuse de sa réaction sur le sujet. Il n'y avait probablement pas de juste réponse. Quant à l'idée en elle-même, elle aurait toutefois été bien plus optimale en s'actant à l'instant succédant directement à l'ardeur des combats, comme l'avait fait quantité de kumojins. Une possibilité aussitôt écartée, puisque la kunoichi s'était refusée à abandonner le peuple de la cité et le reste de son clan à un sort inconnu. Mais aujourd'hui ? Demain ?
Ses projets personnels pouvaient se poursuivre sans une implication renouvelée envers telle ou telle faction. Et ni l'insistance de Shuuhei ni l'exemple de Shisei ne la pousseraient plus à méditer sur un potentiel rôle à mener en tant que shinobi.