Durant les deux jours qui avaient suivi le triste cataclysme qui avait fait de la belle Kumogakure la pénible vassale d'un Empereur revanchard, le guerrier albâtre avait fait moult rencontres, providentielles comme fortuites, comme s'il renaissait de ses cendres. Phoenix de retour dans les cieux lourds et gris qui, en ce jour, jetaient une légère bruine lavant le sang des morts, il savourait à pleine mesure l'entière liberté qui était la sienne depuis que la cité était tombée. Ayant retrouvé quelques visages de jadis, il esquiva les décousus et les rixes en faisant la démonstration d'une bienpensance qu'il avait conquis grâce à ses années d'isolement et d'immobilisme : un immobilisme mis au service d'une science théologique grandissante, qu'il incarnait désormais fièrement.
A présent qu'il avait quitté ses chaînes, il pouvait répandre le culte de la lumière sacrée. Et les dernières nouvelles qu'il avait entendues, lui qui profitait d'une ouïe si claire et presque omnisciente, évoquaient l'exode de ceux qui avait accepté de se convertir pour brandir leur lame au nom de l'Empire du Feu. Quelques mercenaires, comme lui, avaient accepté le contrat de sang. D'autres conquêtes étaient promises. Leur départ viendrait bientôt.
Sur son passage, l'apôtre laissait quelques particules de plâtre, une poussière blanche comme de la poudre d'étoile. Là où il voyait quelques bâtons plantés pour symboliser la place d'un mort, il jetait un peu de cette matière qui s'engorgeait dans la terre une fois humidifiée par les fines gouttes de pluie qui tombaient d'un ciel en sanglots légers.
« Que la Foi vous protège, ô martyrs de la guerre. Savourez le confort qui est le vôtre sous la terre chaude. Que vos corps reposent en paix à présent que votre âme s'élève dans la lumière. »
Des prières clairsemées, lancées ça et là, pour honorer le sacrifice de ceux qui étaient tombés pour défendre une cité vaincue d'office, incapable de résister à la violence d'un volcan qui avait déferlé sur elle.
Soudain, il arriva devant la statue de métal du Nidaime, croisant une guerrière qu'il n'avait pas encore eu le plaisir de connaître...
« Chère inconnue, voulez-vous rendre hommage à cet homme ? »
Horreur... Alors tu étais bien là. Quelque part. Avant que cela ne se produise. Frappée d'une stupeur devenue trop fréquente, la trentenaire s'était figée, sombre et finalement plus coléreuse qu'attristée. L'usure dans l'abattement produisait parfois tel effet, à savoir des sentiments contradictoires. Elle ne se laisserait pas ronger par cette émotivité anormale de sa part, mais néanmoins, elle se devait de l'évacuer dans l'instant présent. En plein face à face avec l'effigie métallique de son ami d'enfance, le discours prosélytique d'un héraut en fond sonore, Takara serrait dans sa dextre son bandeau frontal portant le symbole de Kumo. Elle qui ne le portait jamais, ne le sortait pratiquement pas non plus, le tenait cette fois-ci publiquement.
Malgré leurs différents récurrents, il s'agissait de son ami d'enfance. Sa main gauche, ce gantelet articulé faisant office de remplacement pour la Suzuri, était le fruit de l'artisanat du Nidaime. Avec elle, un peu de son acier l'accompagnait toujours. Il ne restait d'ailleurs plus que ça, de l'acier. Froid. Une teinte fixe qui ne rendait pas honneur à ce dernier...
Alors le héraut à proximité s'était rapproché, sans doute à l’affût de personnes sensibles à son discours. Il s'était posté à proximité du bon appât - Tout le monde connaissait Shuuhei, bien rares étaient ceux qui le détestaient malgré ses décisions pour le moins controversées. D'autant plus maintenant que le retour du bâton était acté. Cela, elle le lui avait bien dit. Takara ne se détournait pas de son ami. Un frisson la parcourait face au malaise dégagé par cette statue qui n'irradiait pas la fatalité de la mort, mais plutôt d'un mélange mixte entre cette dernière et une vie hypothétique.
C'est ce que je fais. Soufflait-elle sinistrement.
Effectuant quelques pas, elle se hissait sur la pointe des pieds afin d'atteindre le front de la statue, y clipsant son bandeau. Il ne portait pas le sien à ce moment-ci, cette absence ne saurait être mieux comblée que par ce geste à la symbolique forte. La kunoichi abandonnait le sien pour le remettre à celui qui, peu importe les événements ou les réflexions de tout un chacun, s'était toujours targué d’œuvrer pour le pays. Ils avaient grandi ensembles, malgré les nombreuses séparations. Ce dernier s'était toujours débrouillé pour la retrouver, en pointillé. Leurs dernières rencontres avaient été désolantes - Ils ne s'entendaient plus, ne se supportaient plus, malgré une cordialité entretenue par respect pour leur passé commun. Maintenant, c'était fini. Et tout ce qui n'allait pas devenait évidemment secondaire. Une larme s'échappait et glissait sur sa joue, même si son air taciturne demeurait intacte.
Encore une fois il échappe aux conséquences de ses actes... Je ne lui souhaitais pas ça, ni même la culpabilité. Mais c'était quelqu'un de bien. Quelqu'un capable de changer, et qui aurait tout fait pour la cité et ceux qui y vivent. Même dans la défaite.
Peut-être l'idéalisait-elle. Ce qu'elle avait toujours souhaité le concernant n'avait alors jamais été entendu par ce dernier. En réalité, sa fierté aurait pris le relais et probablement aurait-il quitté le pays avec bien d'autres, afin d'ajouter une énième ligne dans ce cycle vengeur. Trop orgueilleux et confiant pour envisager le succès à travers des compromis. Il s'accomplissait par la manière forte, estimant que ses épaules seraient toujours assez larges pour assumer à la place des autres et par extension, les protéger. Stupide arrogance. Même le maléfice de l'Homme au Chapeau n'y était pas venue à bout, et ce beta de Nidaime s'était évertué à développer de plus belle sa maîtrise sans en tirer la moindre leçon. Et il avait réussi. C'est dire la volonté de l’énergumène... Pour le stopper dans sa fureur lors de l'attaque, il fallait bien ça - La Résonance.
... Que fait-il ici ? Demandait-elle alors à son interlocuteur hasardeux, subitement soucieuse. Même si notre nouveau gouvernement semble faire preuve de tempérance, cela m'étonnerait qu'il permette à quiconque de rendre hommage à celui qu'il considère comme le Fléau de Hi. Quelqu'un finira par le détruire...
Il était déjà mort, n'est-ce pas ? A nouveau elle l'observait. Shuuhei...
La mystérieuse femme aux cheveux de soleil et aux yeux océaniques avait un quelque chose d'aussi farouche que splendide. Sa beauté sauvage ne laissa guère l'apôtre d'albâtre indifférent. Lui qui n'avait jamais connu que la haine, il se découvrit un angle obtus, comme une fragilité du coeur un peu trop sensible à ce charme des plaines du Kaminari. Son chagrin fit mouche. On aurait dit que la veuve pleurait son mari, tombé dans la bataille. S'il ignorait comment le Nidaime était mort, il n'ignorait pas comme il avait vécu, et en dépit des crimes impardonnables dont il était responsable, il était indéniable que cet homme avait apporté du bon entre les murs de la Cité des Sciences. Mais laisser pareille orpheline derrière lui...
Il n'osa pas se permettre de répandre du plâtre au pied de cette légende éteinte. La remarque au sujet d'une possible répression, en punition d'un hommage rendu à l'un des ennemis jurés de Rei, était fort juste. L'ancien mercenaire n'avait pas été libéré de sa cellule pour y retourner derechef. Il garda la matière dans sa main, observant au-dessus du lui les fragiles larmes du ciel tombantes sur un monde déchiré.
En déposant son regard argenté sur ce joyau attristé du clan Suzuri (qu'il ne savait guère être une kunoichi), il se fit la réflexion que le moment était opportun pour enrichir l'échange.
« Je vous présente mes plus sincères condoléances, madame. »
Glissa-t-il assez discrètement pour ne pas se montrer impudique ou trop familier, permettant à cette inconnue de pouvoir rester dans la sobriété du deuil.
« Comme bien des guerriers qui ont bravement lutté pour libérer les portes de Kumogakure, le Nidaime mérite nos hommages. Puisse son âme être accueillie par le Kôgen et baigner dans la lumière... »
En évoquant cette prière, le prêcheur ferma ses paupières et porta sa dextre au niveau de son poitrail, paume grande ouverte, chaque doigt collé contre un autre, tel un moine méditant devant le cierge pâle, au milieu des encens. Incarnant assez fidèlement sa foi, rejoignant solennellement la Suzuri dans le deuil, il continua de remuer ses lèvres en quelques murmures de confessions, avec l'espoir de guider l'âme de ce Metaru vers de plus vastes cieux.
« De sombres nuits dévorent les rêves des hommes, de pénibles hivers sillonnent leur vie, de terribles tempêtes secouent leurs barques, mais il reste l'espoir de vous rejoindre, ô Kogen, afin de s'unir à votre grandeur... »
La trentenaire hochait respectueusement la tête suite aux paroles du héraut. Ce dernier ne s'était pas montré intrusif, ni ne profitait des portes ouvertes pour placer immédiatement ses propres pions spirituels dans cette dramatique équation. En cela sa sollicitude fut bien accueillie, même si Takara n'en avait pas terminé avec son regretté ami. L'effigie ne resterait pas bien longtemps. Et a bien y réfléchir, ne pouvait être l'originelle.
Si elle existait ?
Après tout... Après tout, cela paraissait si étrange. Le Metaru qui avait placé cette statue ici ne manquait pas de culot. Car que ce soit un hommage ou un leurre, cette oeuvre d'art ne manquerait pas de faire grincer des dents. Néanmoins aucune théorie du complot était possible, si Shuuhei était en vie, cela se serait su. Fuir la queue entre les jambes sans faire de vague, alors que sa cité s'effondrait sous une coupe adverse et que sa petite sœur s'était vue salement fauchée... Un scénario impossible. Aussi lui rendre hommage maintenant par ce dérivé conservait tout son sens.
Alors que le curieux personnage appelait son dieu au gré de sa litanie, la kunoichi posait sa main sur le torse d'acier. Tout du long de son châle, les sombres motifs se muaient en sceau et bientôt l'encre colorée de ses habits s'écoulaient sous l'intensité d'un apport supplémentaire du liquide. En un instant, la statue entière s'était vue peinte des couleurs connues. Souvenir impérissable, la teinte de la peau avait été parfaitement reproduite, comme le reste de la tenue, jusqu'au contraste et reliefs. Seule son immobilité, bien qu'en posture de combat, trahissait l'absence de vie. L'image demeurait pourtant effroyablement réelle, désormais.
Elle se tournait vers l'homme à la longue chevelure laiteuse, les yeux regorgeant de larme avec comme seul renfort un sourire se voulant amusé.
Quelle farce de mauvais goût... Confiait-elle en réaction suite à l'achèvement de cette oeuvre d'art, avant que de concrets sanglots ne la rattrapent.
C'en était trop. Quand bien même le sort de Shuuhei était scellé et qu'elle s'en était doutée, cette scène supplémentaire venait de provoquer un nouveau déclic. Au moins il n'y en aurait pas d'autre. Puisque outre son clan, Shisei et Shuuhei, il ne restait plus personne capable de l'atteindre à un tel point. Triste constat. Comme aimanté par la peine, son front venait soudainement se poser sur l'épaule de l’apôtre de Kôgen. Elle n'avait jamais cherché le réconfort chez les dieux malgré son respect des cultes, toutefois en ce bref instant au moins, elle accueillerait la bienveillance de fortune de l'un de ses représentants.
La façon dont, subtilement, la statue de métal prit un teint coloré, laissa le zélé du Kôgen pantois. La Suzuri venait indubitablement de prouver son appartenance au clan des encreurs, de ceux qui jouaient avec les formes et les couleurs à travers leurs peintures surréalistes, chimères cabalistiques prenant vie aux simples commandes de ces artistes de la mort. S'il risquait lui-même de s'attirer des ennuis en clairsemant son plâtre, ne risquait-elle pas, elle, bien pire ne redonnant vie au visage gris du Nidaime ? Il fallait beaucoup d'audace et surtout un certain sens de culot.
Mais la folie de cette inconnue ne s'arrêta pas là. Comme pour trouver du réconfort, l’endeuillée décida de se rapprocher du prêcheur au point de pouvoir poser sa tête contre épaule. Y ressentait-elle autre chose que du froid ? Sans doute que non. La veuve possédait un certain charme.
Tout comme pouvait en avoir une succube.
Fermement, le guerrier d'albâtre semeur d'hommages repoussa la tête de cette inconnue d'apparence farouche mais au fond si chaleureuse, avec une sorte de retenue qui marquait visiblement son désir de ne pas s'enfoncer plus profondément dans ces sables mouvants de la tendresse : une chose que tout religion de grande confession se refusait, et dont il devrait apprendre à se détacher tôt ou tard. Ce diamant sauvage, cette veuve splendide...
... c'était une tentation pour le détourner de sa foi.
« Je vous prierais de garder votre tête loin de ma personne. »
Lança-t-il en se montrant soudain plus hostile.
« Je peux écouter, si vous le désirez, vos confessions. Seulement, ma foi m'interdit toute promiscuité avec les confessés. Comprenez que je ne profite pas de la détresse des gens pour les amadouer. »
Concluant de la sorte, il tendît son bras entre lui et l'étrangère du clan Suzuri, et ouvrit sa main pour que s'éparpillent quelques particules blanchâtres, poussière d'étoile s'étalant au pied de la réplique du légendaire Metaru tombé à cause de la Résonance. Ignorant comment le Nidaime avait pu se changer en métal, il n'en demeurait pas moins qu'honorer sa mort restait dans ses attributions.
Sous l'impulsion, la Suzuri se retranchait finalement d'elle même. La bienséance succédait aussitôt à ce retrait consenti - En vérité elle ne se livrait pratiquement jamais sous un tel angle à qui que ce soit, si ce n'est justement Shuuhei. Le chaos de ses pensées couplé à ce souvenir défunt réactivaient probablement certaines cases dans sa psychologie d'ordinaire bien mieux épurée. Contrite, elle se rattrapait donc immédiatement, partiellement.
Pardonnez-moi... Je ne voulais pas.
Ce rappel à l'ordre la rappelait toute fois à la réalité. A se ressaisir intuitivement et par conséquent, d'avantage s'enquérir de ce qui l'entourait. Ainsi elle se permettait un coup d'oeil plus consciencieux à l'égard de son interlocuteur, en qui elle n'avait jusqu'à présent qu'accordé le rôle de présence réconfortante sans pousser d'avantage son analyse. Ce manque d'attention trahissait pourtant ses habitudes. En face d'elle, un personnage singulier - Ce constat venait à bout de l'étonnement de Takara qui y reconnaissait un avatar pointilleux de son dieu. Le culte des adorateurs de la lumière jouissait d'une bonne réputation dans la cité, même si son influence peinait à quitter son enceinte là où Isonade s'était emparée du cœur de la majorité du peuple de Kaminari, par ses vertus et paraissait-il parfois selon de rares écrits aux sources douteuses : Ses apparitions. Certains croyants de cette dernière accordait de l'attention à Kôgen, là où les purs apôtres de celui-ci ne concevait qu'une seule et unique entité et rien d'autre. Les subtilités de cette religion échappait ceci dit globalement à la trentenaire. Ni la curiosité ni l'amas de culture ne l'avaient jusqu'à présent amenée à en apprendre d'avantage sur ce courant religieux. Sans doute de part sa vie passée hors de Kumogakure en particulier.
Il y aurait beaucoup à dire sur cet homme... Reprenait-elle afin d'effacer le malentendu. Mais je ne suis pas la mieux placée pour en parler. A dire vrai, même notre dernière conversation s'est mal passée... Nous nous renvoyions de bien tristes images. Sans doute est-il mort en l'ignorant, mais ses paroles ont compté, pour moi. Peut-être pas exactement comme il l'entendait mais, eh... Un ricanement fébrile venait à bout de sa peine, maintenant qu'elle s'exprimait plus librement sur le sujet. Je ne suis pas douée pour les confessions. Sans doute parce que je ne me prive pas de dire ce que je pense ? Il en aura fait les frais, tout comme moi. Sauf que je ne peux pas regretter cela.
Terminait-elle en baissant la tête. Bien sûr qu'elle avait des regrets, mais pour autant la kunoichi ne pouvait renier qui elle était ni les tierces visions exposées à son ami d'antan, qui valait toujours - Pire, maintenant qu'elles étaient avérées. Après avoir marqué un silence, elle se décidait à changer de ton, tâchant d'en apprendre plus à celui auprès du quel elle se livrait sans frein.
Mais vous deviez le connaître également. Qu'en pensiez-vous ? Votre ordre vous missionne pour aider le peuple - J'espère que vous pouvez vous exprimer à votre tour sans que cela n'affecte votre rôle. Sachez que ça me ferait plaisir... Ajoutait-elle, un timide sourire à l'appuis.
Il était vrai qu'entendre l'avis de quelqu'un d'autre à propos de Shuuhei serait rafraîchissant, la sortirait encore un peu plus de ses propres jugements.
Solennité des solennités, le temps absorba chaque parole s’érodant dans son vaste empire, tel un sablier des regrets. Ce face à face post-mortem antre Takara et Shuuhei palpitait comme un cœur mélancolique, alchimie gracieuse mijotant dans la culpabilité avec une certaine note de pragmatisme. D’une certaine façon, sentimentalement, elle avait réussi à mélanger l’huile et l’eau. En dépit d’être parvenue à recolorer cette statue éteinte, elle ne pouvait fatalement pas rattraper les derniers instants passés avec ce héros trépassé. Probablement se serait-elle sentie plus à l’aise avec une conclusion moins conflictuelle entre eux deux. Mais la querelle faisait partie du passé et à présent, elle apprenait à se résigner à cette évidence que plus rien n’était récupérable. Elle laissa s’échapper un flot de paroles sincères ponctué de quelques gouttes d’amertume. Tant de chagrin récité sous l’œil bien avisé du prêtre belliciste.
Bientôt pourtant, la veuve sentimentale décida de tourner le débat et de s’intéresser d’un peu plus près à son interlocuteur, qu’elle avait d’une certaine façon un peu trop provoqué sans le vouloir, en se montrant trop tactile. La seule fidélité qu’il entretenait, c’est au Kôgen qu’il la devait, et c’est bien uniquement il n’y avait qu’à cette foi qu’il pouvait entièrement consacrer son amour. D’un certain point de vue, chaque mortel n’était à ses yeux qu’un pion adorateur destiné à répandre ce culte religieux dont il était l’un des plus honnêtes prêcheurs.
« Voilà un message bien sincère. Probablement que vous remettez autant de couleur dans le lien qui vous unissait que ce que vous en avez fait avec cette rémanence inerte de lui. Cette statue de métal n’est peut-être qu’un reliquat de son histoire, mais en l’état, qui ne peut s’arrêter sur l’idée qu’il a fini pour devenir ce qu’il avait perdu ? On dit souvent qu’on meurt comme on a vécu. J’ose croire que la mort est donc son ultime conquête, si vous me permettez ce point de vue. En vous figurant qu’un homme rejoint l’immatériel Kôgen en passant la barrière de la réalité charnelle pour rejoindre une évocation plus spirituelle de sa personne, vous envisagerez qu’il n’a pas quitté ce monde palpable par erreur, mais parce que cela faisait partie de son destin. N’est-ce pas là une façon des plus sublimes de disparaître dans la grandeur ? »
Le religieux, certes mystérieux, semblait alors s’envelopper d’une aura mystique. Sa peau blafarde, que l’on pouvait à certains égards considérer comme cadavérique, devenait sous cet angle une sorte de lumière pâle, infiniment pure et douce, emprunte de sagesse et de majesté. Dans sa confession de foi, l’étrange Nobusada s’incarnait en chimère agnostique. Il devenait un secret scintillant au-dessous des cieux…
Le regard braqué vers le sol, elle écoutait attentivement. D'aucun pourrait se méfier de ce genre d'homme ainsi que de leur discours. En réalité, dans bien des situations la Suzuri se serait détachée de telles paroles - Mais il ne fallait pas sous-estimer le pouvoir des Rencontres. Elle avait beau être fréquente, parfois même anodine, lorsqu'on s'offrait quelques secondes de réflexion, il n'était pas rare d'aboutir à l'idée qu'une rencontre même hasardeuse portait toujours un message, livré en temps et en heure. En cet instant précis, c'est ce que ressentait la trentenaire. Aussi elle n’émettait aucun jugement quant au ton empreint de mysticisme de l’apôtre, ni même son allure. Ce dernier existait, brillait par ce qu'il incarnait. Il y avait bien plus de Vérité en lui que nombre des personnes croisées jusqu'à présent dans la cité. Cela elle le savait, sans le connaître d'avantage, sans mettre les valeurs ou les idéologies dans l'équation.
Je l'ignore... Confiait-elle. Elle avait bien saisi le discours. L'acceptait-elle ? Chagrin mis à part, acceptait-elle cette conclusion ? Même s'il est vrai qu'on dit ceci, j'ai pour ma part toujours pensé autrement. D'après moi, trop nombreux sont les hommes qui vivent comme s'ils n'allaient jamais mourir. Cela revient peut-être au même, ou explique du moins l'existence regrettable de ce dicton populaire.
Je crains que même résolu à mener son propre baroud d'honneur, notre homme aurait été capable de survivre et d'inverser la vapeur... Achevait-elle en soupirant.
La Résonance l'avait vaincu. Même le plus puissant pouvoir connu par les hommes n'avait fait que le retarder, et finalement, seul un fléau dépassant l'échelle de l'influence humaine avait su mettre un stop définitif à son existence. Dans le fond, Shuuhei était niais. C'est pour cela qu'elle le reprenait toujours, venant parfois même à le condamner. Niais, mais terriblement volontaire et indomptable. Certes, une telle mort accomplie sans échec véritable ne manquerait pas de satisfaire son ego même par delà la mort si cela était possible. Mais évidemment, Takara ne goûtait pas de ce pain là.
Je lui souhaite une réincarnation modeste. Concluait-elle à haute voix, sa peine s'étant définitivement effacée. Car cette vie de conquêtes, il en a assurément fait le tour. Ne pouvait plus que reproduire, sans apprendre...
Takara renouait avec ses pensées habituelles. La mort ne la ferait pas chavirer d'avantage. Ne l'aveuglerait pas.
Que Kôgen se charge de sa destinée - Puisse t-il épurer son âme. Les mains jointes en signe de respect, légèrement penchée. Puis elle fit volte face. Puisque pour ma part, je ne peux le laisser m'assombrir plus longtemps. J'ai ma propre vie à poursuivre. Loin de sa définition du Sublime, et pourtant...
Sa nuque pivotait doucement, permettant à la trentenaire d'offrir un dernier sourire à son interlocuteur. Elle ne comptait pas rester d'avantage, cette statue ne saurait tarder à porter malheur de toute façon. Tout comme les regrets lorsqu'on s’entêtait à les entretenir... Puis elle reprenait sa marche.