D'ici quelques heures, elle retournerait à son domaine clanique. Mais pas pour y travailler. Puisque cette fois-ci, elle se confronterait à sa famille. Ou du moins ce qu'il en restait. Une fois n'étant pas coutume elle avait décidé de rompre ses habitudes et de s'accorder une heure dans un onsen afin de se relaxer et faire le point. En fait, il y avait peu de chance que cela devienne coutumier, car à l'instar de cette jeune idéaliste qui avait tantôt pris la parole face à la foule, elle comptait briser un mur qui l'empêchait désormais d'avancer. Celui établi par les liens du sang.
Ce village. Ce pays. Y resterait-elle encore bien longtemps ? Entre ceux qui siégeaient, orgueilleux ; ceux qui maugréaient, envieux ; ceux qui se moquaient de tout et de tous mais se hissaient aisément, volontiers récompensés par un système encourageant le Sang - Le sien pourvu qu'il soit chaud ou celui des autres pourvu qu'il jaillisse. Quoi d'autre importait ? Kumogakure ou Teikoku, même combat, même raisonnement. Les nuances ? La couleur de leurs chiffons, quelques dénominations officielles, quoi de plus ? Rien. Absolument rien.
Du bruit, rien que du bruit. Tantôt bourreaux tantôt victimes. Mais toujours la même symphonie.
A douze ans, un enfant pouvait désormais projeter son énergie pour détruire en quelques secondes une structure de cinquante pieds de haut et se voyait félicité pour ça. Ne savait à peine définir ce qu'était le chakra, ni qui étaient concrètement ses ancêtres. Né puis enrobé d'une chaude serviette, déposé entre un kunai et un bandeau shinobi - Tu iras loin petite fourmi. De là jusqu'à là, c'est notre territoire. Si quelqu'un te demande depuis quand ce territoire appartient à ton village, ton clan ou à tes parents, alors discrédite-le ou tue-le. Puisqu'il est si dérangeant. Toi qui protège tes gens, ces gens là qui ne te ressemblent pas, puisque inférieurs, que tu dois donc couvrir de tes armes puisqu'ils vivent chez toi ; ton peuple, ton pays. Sans toi, que deviendraient-ils ?
Qu'ils sont si grands, qu'ils sont si forts. Qu'ils sont si niais, qu'ils sont si creux.
Takara soupirait, s'enfonçant seule dans ce bain cerné par les panneaux de toile. Était-ce ça, l'aigreur ? Définitivement, elle devait prendre une décision. Agir. Et si ce n'était pas possible ? Alors c'était partir ou se tarir.
Partir, assurément. Et qu'ils continuent de se battre pour les miettes de ce qu'ils possèdent déjà... Au pays des aveugles, les plus bruyants sont des vedettes par défaut.
Pathétique ! Tous pathétiques ! Voilà ce que tu murmurais silencieusement face à ce qui s'offrait à tes yeux et aux paroles, qui sonnaient comme une véritable succession d'anomies à tes oreilles.
Adossée contre un mur, les bras croisés sous ton opulente poitrine, par devoir dont tu n'avais cure en réalité, tu faisais acte de présence en ce lieu où s'étaient rassemblés des curieux, des inconscients et des êtres aigris par la défaite passée ou rehaussés par une victoire toujours délectable. A l'instar de la belle rouquine qui était à l'origine de ce rassemblement que tu considérais comme une véritable perte de temps, certains avaient tentés d'exprimer leur position sur la situation actuelle de Kumogakure no Sato ou de communiquer leurs idéaux mais quelques paroles de la Régente et l'annonce d'un examen chuunin avaient suffit à les faire tous taire. De toute évidence, ils manquaient de conviction.
Ton regard fixe longuement la rouquine qui avait au final fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Tu te demandais ce qu'elle avait espéré accomplir avec si peu de détermination et une manque effroyable de préparation. Elle semblait ambitieuse mais était mal armée verbalement pour espérer convaincre un public. Elle était peut-être une kunoïchi hors paire mais avec si peu d'éloquence, elle avait perdu aisément face à la Régente qui était une véritable oratrice. En tout cas, la belle rouquine avait réussi à se faire remarquer de ses potentiels alliés mais aussi de ceux qui la cataloguaient certainement à présent comme un personnage hypothétiquement néfaste pour leur dessein. Malgré elle, elle était devenue probablement un personnage à surveiller étroitement si elle n'était pas à éliminer définitivement.
Sans attendre l'ordre, tu abandonnes le lieu. Ce n'était pas la première fois que tu désertais ton poste et ça ne sera certainement pas la dernière fois. En vérité, tu espérais, plus qu'une simple réprimande, un renvoi du Kyuubu mais il faut croire que l'unité manquait cruellement d'effectif pour se permettre de se priver même de ses plus indisciplinés des membres.
Ton labeur achevé, tu rejoins l'onsen du Village. Endroit où tu avais pris l'habitude d'atterrir après l'accomplissement de tes devoirs de kunoïchi du Village Caché des Nuages et membre du Kyuubu. Autrefois, tu avais pour coutume d'achever ta journée dans la taverne la plus mal famée de la ville mais après la disparation de cette dernière - durant l'attaque de l'armée de l'Empire - tu avais changé tes habitudes. Tu avais bien sûr essayé de fréquenter d'autres établissements, dans l'espoir de retrouver cette ambiance qui te procurait une certainement satisfaction, mais aucun ne dégageait cette atmosphère qui avait fini par te rendre nostalgique. Alors, tu avais fini par troquer la fréquentation des tavernes par celle des sources chaudes, tout simplement.
- Que peut bien vous faire soupirer à ce point ? Lâches-tu à travers la brume qui voilait le dessus de l'eau dans laquelle vous étiez plongées. Votre dîner avec votre cousine se serait-il mal passé ?
Tu mentionnais votre entrevue rapide à l'Assemblée calcinée, lors du retour d'Akina dans le Village.
En vérité, savoir ce qui tracassait celle que tu surnommais, sans méchanceté réelle, la Vieille ne t'intéressait aucunement mais c'était la façon la plus polie de l'aborder qui avait traversé ton esprit à ce moment là alors que la Suzuri ne semblait pas avoir remarqué ta présence …
Décidément... Autant elle avait pris un risque en apparaissant la dernière fois au milieu d'une conversation entre Akina et la Metaru, autant cette fois-ci les chances de tomber dessus restaient minimes. Non pas qu'elle cherchait spécialement à l'éviter, mais s'en méfiait toutefois. Cette dernière se laissait trop volontiers porter par sa soif de divertissement au gout de la trentenaire. Fait anecdotique, elle la vouvoyait désormais, ne sachant vraiment si cela pouvait signifier quelque chose ; que ce soit sur son état d'esprit actuel ou un simple hasard.
Quoiqu'il en soit Takara était préoccupée et avait visiblement fait preuve d'un manque d'observation en pénétrant cet endroit. Si l'intervention adverse l'avait faite légèrement tressaillir elle retrouvait toutefois rapidement son calme. Sans doute aurait-elle préférée être seule, pour le coup. Mais ce n'était pas son genre de rejeter les imprévus de la vie sans leur laisser une chance de susciter en elle un potentiel intérêt.
Non... Des pensées seulement. Réagissait-elle en refermant les yeux afin de mieux ressentir la présence trouble de sa compagnie.
Le silence, bien qu'éphémère, reprenait doucement ses droits. Les songes de la Suzuri à propos de son propre clan tirait une corde précise de sa sensibilité, aussi la confrontation soudaine avec ce rejeton du clan Metaru l'amenait à lâcher une phrase qu'elle n'aurait d'ordinaire pas pris le temps de prononcer en d'autres lieux. Ce climat intimiste y jouant certainement.
Mes condoléances pour Shuuhei, Reiko et ces Metaru éteints dont j'ignore les noms...
Contrairement à son interlocutrice, la trentenaire considérait les choses au delà des simples formules de politesse. Quand bien même ses avis demeuraient tranchés sur bien des sujets au point de lui attribuer un portrait d'insensible ou d'une femme se considérant "au dessus" des standards répandus, elle donnait une grande importance à la vie. Elle détestait pourtant Reiko, la considérant comme malade. Aimait Shuuhei, malgré des finalités impossibles au vue de leurs différences infranchissables. Elle regrettait la chute violente du clan Metaru au moins autant que celle - plus éparse - de son propre clan... Elle regrettait cette voie empruntée par Kumo, par le Yuukan tout entier. Mais accordait une valeur égale aux vastes entités comme aux individus. Mentionner des condoléances maintenant... Cela sonnait bizarre à l'oreille. Comme s'ils appartenaient déjà à un passé lointain. Ce qui était loin d'être le cas... Des noms qui ne sauraient tomber dans l'oubli tant que leurs entourages eux-mêmes disparaissent, balayés par le temps.
Il est vrai que Shuuhei et Reiko n’étaient plus de ce monde. Leur mort t’avait si peu marqué et, de leur vivant, leur présence ne t’avait pas assez intéressée que tu avais vite oublié leur disparition. Et pourtant, bien tu n’avais pas été très proche de Reiko, tu ne la détestais pas pour autant et tu pouvais avancer que tu avais un tantinet apprécié Shuuhei. Ce dernier s’était, après tout, comporté comme un véritable aîné à ton égard. Il t’avait prodigué des conseils et s’était tenu disponible pour t’aider dans ton apprentissage alors que tu venais tout juste d’atterrir chez les Metaru. Et, bien qu’il fût connu comme un véritable coureur de jupon, il n’avait jamais cherché à te toucher ; sauf cette fois où il avait failli déraper après avoir trop bu en ta compagnie. Tu étais partie ce soir-là au lieu de succomber à la tentation du Nidaine Raïkage que tu reconnaissais pourtant avoir été un bel homme et assez attirant.
Tout en savourant le bienfait de l’eau chaude sur ton corps nu et immergé, tu laisses un instant tes pensées voguer dans le passé. En repensant à cette soirée de beuverie avec Shuuhei, tu te disais que tu aurais dû te laisser tenter par l’avance de ton aîné. Coucher avec le Nidaine n’aurait pas été un exploit car il était aisé pour la plupart des femmes de se trouver dans sa couche mais ça aurait été certainement une bonne expérience.
- Vous devriez plutôt exprimer vos condoléances à ceux à qui ça pourrait intéresser.
Une façon de faire comprendre à la manieuse d’encre que son témoignage de sympathie pour ceux qui étaient tombés au sien du clan Metaru ne t’intéressait guère.
Peut-être que la Suzuri désirait juste se montrer courtoise ou que ses propos venaient réellement du cœur mais toi, tu préférais être sincère à son égard. On pouvait te blâmer d’être une fille mal élevée mais tu avais le mérite de ne pas chercher à leurrer les gens sur ta nature. D’ailleurs, préférant suivre le chemin de la franchise au lieu de se plier à une étiquette qui vous poussait souvent aux mensonges, tu n’exprimes la moindre condoléance en retour à la Suzuri qui avait pourtant perdu des proches - et peut-être chers - durant la guerre contre l’Empire.
Après un bref silence, tu plonges tout doucement dans l’eau fumante pour finir par disparaître complètement. Tu réapparais ensuite aussitôt, et en douceur, à moins d’un mètre devant la Vieille. Tu tentes d’ancrer tes prunelles dans celles de la Suzuri que tu avais approchée tout en ayant conscience que celle-ci préférait certainement que tu gardes tes distances vis-à-vis d’elle. Malheureusement pour la Vieille, tu n’étais pas un être qui aimait faire plaisir aux autres. Bien au contraire. Tu avais plutôt tendance à jouir de l’inconfort d’autrui ; surtout si tu en étais la cause.
- Tentez-vous de noyer votre chagrin dans ce bassin ? ... Vous savez, ça fonctionnerait mieux avec de l’alcool !
L’onsen proposait du saké qui était servi dans une petite bassine en bambou ou en bois qui flottait à côté des baigneurs. Tu venais de proposer - à ta manière - à la Suzuri d'en boire avec toi ; bien que tu doutasses que la Vieille appréciait l’alcool …
Décidément... Comme Akina qui se réjouissait presque de savoir certains des Anciens enterrés, Yamiko non plus n'offrait pas ne serait-ce qu'une petite pensée respectueuse aux défunts de son propre clan. Plus elle entretenait de rapport, plus Takara se fixait sur la nouvelle tendance générale du Yuukan : Rien importait. A l'instar d'un alcoolique buvant quotidiennement pour s'anesthésier le cerveau, les shinobi s'agitaient pour mieux combler le vide de leur conscience. Et dire que c'était ceux là mêmes qui constituaient "l'image" des villages cachés, villages qui clamaient la paix et la protection des peuples. Comment leur accorder la moindre crédibilité ? C'était d'un lassant.
Evidemment, cette pensée ne se focalisait pas sur la grande brune. Elle prenait source dans la répétitivité des constats à travers les diverses rencontres. Par ailleurs, au plus les valeurs se perdaient chez les shinobi, au plus ces derniers demandaient d'agir et adoptaient une posture viscérale en cas de refus... Yamiko était une officielle du Kyuubu, unité spéciale du village. Encore une figure d'autorité et de prestige revêtis par une personne dont le seul intérêt demeurait sa capacité hypothétique à écraser un adversaire, et rien d'autre. Mais c'était parfait aux yeux de tous. Elle représentait ainsi ce qu'il y a de mieux pour un village caché.
Désolée... J'oubliais qu'il n'est bon de parler des morts que lorsqu'on compte les utiliser pour justifier un nouveau casus belli. Rétorquait-elle cyniquement, ne cachant pas l'amertume passagère qui lui minait le moral.
Son interlocutrice s'était rapprochée. Voulait-elle jouer une fois de plus ? La Suzuri ne connaissait pas grand chose d'elle, si ce n'est son "statut respectable" et son désœuvrement malsain qui la poussait à être tantôt distante et détachée, tantôt intrusive. La trentenaire ne s'inquiétait pas, saisissant le saké sans réchigner ; ces derniers temps la boisson accompagnait plusieurs de ses fins de soirée, mais elle ferait exception cette fois-ci en profitant de la proposition. Cela changeait et s'y prêtait bien, dans les sources chaudes.
Merci. Si seulement il était possible de noyer mon chagrin ainsi, alors oui je serai peut-être alcoolique... Mais quand j'en abuse ça a plutôt tendance à m'endormir que d'entraver ma lucidité. Ajoutait-elle sans réfléchir, se délectant d'une gorgée. Elle plissait les yeux un instant puis reprenait. Et vous alors ? Avez-vous des choses à noyer ? Vous semblez habituée, ou au moins bien équipée.
Elle refermait les yeux. Soit confiante, soit résignée. Dans tous les cas si sa partenaire du jour lui préparait un mauvais coup, elle ne ferait que le subir de plein fouet avant d'y réagir. Toutes ses pensées s'orientaient vers sa prochaine étape, autrement dit la confrontation avec les meneurs de son clan. Bien décidée, l'idée de pouvoir être interrompue par un élément perturbateur ne l'avait même pas effleuré. Inconsciemment, elle avait pourtant peut être pris le risque de s'offrir une heure dans un tel endroit afin de se donner une raison de ne pas le faire ? Yamiko semblait déconnectée de tout, ne songeant qu'à son propre plaisir immédiat. Si une personne pouvait bien foutre son planning de la journée en l'air, c'était bien elle.