Une bouteille de saké dans une main, de l’autre tu toques une porte devant laquelle tu posais les pieds pour la première. Puis, tu patientes.
Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis la négociation, initiée par le Teikoku, pour la remise en état de la forge du Village Caché de Nuages. Si les choses s’étaient présentées assez mal au début, au final, tout s’était bien déroulé. Les deux camps avaient réussi à trouver un terrain d’entente mais l’accord n’avait pas été cependant plu à tout le monde. Les plus haineux du clan Metaru n’étaient pas contents à l’idée de devoir travailler pour le Teikoku même si, en réfléchissant bien, ce n’était pas tout à fait le cas. En effet, le clan restait maître de la Raffinerie, comme ça l’a toujours été. A sa tête se trouvait une Metaru et aucune présence permanente de teikokujin n’y était imposée. Mais lorsqu’on était aveuglé par une haine viscérale, il devenait très difficile de percevoir clairement les choses.
Ce qui s’était déroulé à la forge en ruines, lors de la rencontre entre les envoyées du Teikoku et ton groupe mobilisé par les Anciens du clan Metaru pour les rencontrer, avait même entrainé le départ d’un des vôtre. Tu l’ignorais encore mais c’était toi en réalité la cause de cet incident. Ton acte avait fait l’effet d’une goutte d’eau qui avait fait déborder le vase qui représentait le Rebelle du clan des manipulateurs de métal et qui était aussi un de tes élèves. A cause de ce qui s’était passé, Reiji avait quitté définitivement le clan et ce, sans dire au revoir à quiconque. Bien que là était une chose à laquelle la plupart des membres du groupe s’attendaient, beaucoup étaient cependant restés stupéfiés par la décision du Rebelle. Ce dernier l’ignorait peut-être mais personne ne désirait le voir partir, malgré les maintes reproches faites à ses conduites qui n’étaient pas toujours très exemplaires.
Les Metaru avaient beau être des sanguins nés pour la plupart, il n’en restait pas moins qu’ils étaient du genre à se serrer les coudes. Jamais le clan n’abandonnerait un des leurs. Il suffisait de voir comment la bâtarde que tu étais avait été intégrée au sein du groupe pour comprendre que ses membres n’étaient pas du genre à rejeter les leurs. Mais il fallait avoir la volonté de s’intégrer pour parvenir à vivre en harmonie avec les siens. Et, nombreux sont ceux du clan – dont toi-même – qui pensaient que le Rebelle n’avait pas cette disposition en lui. C’était d’ailleurs pour cette raison que personne n’était venue tenter de le convaincre de revenir au sein du Domaine du clan. Tous respectaient sa décision.
Tu n’étais pas devant la porte du nouveau domicile de ton "cousin" avec l’objectif de le persuader de retourner parmi les siens. Tu étais venue juste avec le désir de le comprendre …
Récemment, les événements ne s'enchaînaient pas de la façon dont l'aurait souhaité Reiji. Plus encore que habituellement, il était dans une mauvaise phase. Si d'ordinaire il éprouvait de la colère et un sentiment d'injustice envers les siens, ces derniers jours il en était dégoutté, dépité. Plus particulièrement par certaines personnes au sein de son clan, notamment la Doyenne Aya ou sa cousine et sensei, Yamiko. Probablement les deux seules Metaru à qui il apportait encore un tant soit peut d'importance et qui pourtant, avaient décidé de le laisser tomber, elles aussi. La décision de coopérer avec l'Empire et de relancer la Raffinerie ne lui plaisait pas, pas plus que le fait de mettre à disposition le clan pour le faire. Le Teikoku les avait envahi, avait décapité l'ancienne Raikage et cheffe de clan et on se rabaissait encore à leur obéir à accéder à leur demande. Pire encore à ses yeux, il avait bien remarqué l’ambiguïté entre Yamiko et cette chose répugnante qu'était Jun.
Il en avait encore les images qui hantaient son esprit, même en ce moment, affalé sur son fauteuil comme il l'était. La pièce plongée dans le noir, les yeux rivés sur le plafond, l'esprit piégé dans une masse de brouillard. Il lui fallait essayer d'y voir clair, mais l'alcool qu'il se descendait depuis quelques jours n'aidait pas. Il avait quitté le domaine clanique, tirant définitivement un trait sur sa relation avec les Metaru, sa propre famille, son sang. Désormais, il serait indépendant, ne répondrait plus aux décisions stupides de ce groupe de vieillards dépassés et hors du temps. Il en avait eu sa dose, le dernier coup avait été de trop. Aussi fier soit-il, rejeter son appartenance au clan pesait lourd dans son esprit. Il s'était retranché dans son appartement, enfermé depuis quelques jours sans mettre le nez dehors, les bouteilles de sake pour seule compagnie. Il se saoulait la gueule, broyant du noir et ressassant sans cesse toutes les conneries de ces derniers jours.
Il ne s'était pas lavé, ne s'était pas changé ni avait aéré son lieu de vivre depuis qu'il s'y était enfermé, comme tenant le siège. Ceux qui avaient tenté de venir lui rappeler qu'il avait un devoir en tant que shinobi s'était heurté à un mur de silence, ou des insultes plus violentes les unes que les autres. Des menaces de mort aussi, et de bouche cassée si on ne lui foutait pas la paix. On pouvait bien le mettre aux arrêts, il n'y voyait aucun problème. Lorsque de derrière sa porte, s'éleva une fois encore le son émit par des doigts s'écrasant sur le rempart, Reiji grogna, irrité. Cela faisait un petit moment qu'on l'avait laissé à son sort et il en était ravi, quelqu'un semblait d'humeur à le contrarier. Grommelant dans sa barbe de quelques jours, il eut un mal de fou à se lever, hésitant, hasardeux, embrumé par l'alcool. Marcher jusqu'au pas de la porte fut une épreuve de laquelle il ressorti victorieux non sans peine.
D'un geste brusque, il enfonça la poignée vers le bas et tira la porte vers lui. Il ne retint ni sa force, ni l'élan de la porte qui alla claquer contre le mur. « Ça veut quoi ?! » Qu'il se contenta de lâcher, les yeux plissés, agressé par la lumière du jour qu'il n'avait pas aperçu depuis si longtemps. Il plaça une main en protection, sentant sa rétine à la limite de brûler. Il eut du mal à distinguer de qui il s'agissait, quelques longues secondes passèrent avant que sa vue ne s'habitue au changement de luminosité. C'était elle. « Ah tiens, toi. » Elle. Yamiko. Elle l'avait trouvé, et s'était décidé de ramener ses énormes panards jusqu'ici. Elle tenait une bouteille de saké en main. Reiji se foutait de qui était sa source, mais elle était bien informée, c'était exactement ce dont il avait besoin. « Je te débarrasse de ça ! » Il s'empara de la bouteille et fit volte face, retournant s'affaler dans son fauteuil au beau milieu du salon.
Ferme la porte derrière-toi, toute cette lumière, ça me fatigue !
Rien qu'au ton qu'il employait, on pouvait le comprendre. Il n'avait pas dormi et dessoûlé depuis trop longtemps. « Pourquoi t'es là ? L'autre pouffiasse veut plus de toi ? » Leur idylle serait donc déjà terminée ? Pas étonnant quand on connaît le tempérament de sa cousine, d'autant que l'autre amochée de la mâchoire semblait pas être un cadeau non plus. C'est ce qu'il se passait quand on plaçait deux chieuses dans la même pièce, elles se sautant à la gorge. Le Rebelle espérait secrètement que la dispute fut si violente qu'elle eut entraînée la mort de la traîtresse. De ses dents, il fit sauter le bouchon de la bouteille et levant cette dernière dans la direction de sa cousine comme pour trinquer, il la porta à ses lèvres pour la délester de plusieurs gorgées. Appréciant la descente du liquide au fond de sa gorge puis de son ventre, il reposa sa nuque contre le dos de son fauteuil et laissa opérer la magie...