Le domaine Suzuri. Voilà où se trouvait Kao Kan en ce moment même, en train de tambouriner à la porte d'entrée. On aurait très bien pu se demander ce qu'il foutait là-bas, s'il s'était trompé ou s'il était venu simplement parce qu'il avait vu de la lumière. Mais non ! Paré de son sourire niais à toute épreuve, il s'était rendu au domaine clanique des manieurs d'encre avec une raison bien précise en tête : rencontrer une personne en particulier et la convaincre de lui partager ses savoirs. Il s'était récemment mis à l'apprentissage difficile du Fuinjutsu et il voulait devenir plus fort, plus vite.
- Oui ?
C'est une jeune fille qui lui ouvrit la porte. Ne faiblissant pas dans ses expressions faciales, il lui lança un retentissant :
- Bonjour ! Je viens voir Suzuri Takara-san !
Suite à quoi il fut invité à entrer, et ordonné d'attendre à cet endroit précis. Mais Kao Kan étant ce qu'il est... il se perdit vite dans la contemplation des lieux, voulant toujours aller voir un petit peu plus loin. Il fallait avouer que le domaine était très beau, ce qui n'était pas étonnant pour un clan d'artistes comme les Suzuri. Mais il n'était pas venu en visite touristique ! Il devait trouver Suzuri Takara. Et comme il avait déjà oublié que quelqu'un était parti spécialement la chercher, il décida de prendre les choses en main. A la première dame croisée, il lui lança :
- Bonjour ! Je cherche Suzuri-sama !
Elle le regarda d'un air amusé croisé avec de la consternation. Il s'était encore mélangé dans les formules de politesse.
- Euh... Oui ? Comme tout le monde ici ?
Mais après un peu plus de discussion, il ne s'agissait pas de Takara. Ce n'est pas pour autant qu'il se découragea, et il retenta sa chance dès que l'occasion se présenta.
- Bonjour ! Est-ce que vous êtes Takara-san ?
Mais ce n'était toujours pas le cas. Il décida de rebrousser chemin et de ne pas trop s'aventurer dans un endroit qu'il ne connaissait pas, surtout en étant pas tellement invité... En revenant à son point de départ, il vit la petite fille de tout à l'heure accompagnée d'une dame blonde d'âge moyen. Cette fois-ci, il n'allait pas se tromper !
- Bonjour ! Est-ce que vous êtes Suzuri-sama Takara-san ?
Oups, il s'était encore mélangé avec les formes de politesse. Mais avec un peu de chance, elle penserait juste qu'il était super bien éduqué !
Bizarre. Oui bizarre d'être ici. Car dans sa tête, ce lieu appartenait au passé. Un passé de deux semaines, certes... Quelle ironie. Mais tourner une page ne suffisait pas toujours, car un simple courant d'air pouvait nous renvoyer sans mal un ou deux chapitres en arrière. C'est ce qui s'était produit faute à l'annonce d'une nouvelle mission : Demain, elle serait convoquée au bureau de la Régente afin d'en prendre plus amplement connaissance et rejoindre une équipe. Autant dire que cela l'agaçait, elle qui ne comptait pas remettre les pieds à Kaminari no Kuni avant un long moment. Mais voilà, c'était ainsi, et il fallait digérer la chose, ce qu'elle faisait dans son atelier clanique en compagnie de la petite Satori. ... Jusqu'à ce qu'une jeune garçon parfaitement étranger déboule soudainement. Bafouillant une question suivi d'un motif assez étonnant.
Qu'est'q...?... Commençait-elle, très vite interrompue par la petite gamine de son clan, qui la collait à souhait depuis la Résonance, et la perte de sa mère. POUAH! T'as quoi à l'oreille?! Tu es malentendant comme papi?!! Donne moi aussi j'veux bien mal entendre!! Satori ! Reprenait la trentenaire, strictement.
Le rappel à l'ordre - coutumier - semblait fonctionner, bien que la juvénile détaillait avec soupçon le blondinet tout en retournant dans les jambes de Takara.
Oui c'est moi mais... un copain de Kaito ? Meikyu Kaito ? Précisait-elle, un brin décontenancée malgré son calme habituel. Et bien ? Que voulez-vous ?
Sans doute avait-elle reçu un peu trop de monde ici ces derniers temps pour qu'on laisse rentrer un parfait inconnu comme ça juste en donnant son nom... Non pas qu'elle craignait quoique ce soit, mais il est vrai que cela devenait tout de même limite vis à vis du respect du domaine clanique. Enfin. La Suzuri restait disponible, d'autant que son interlocuteur de l'instant semblait lui-même assez confus.
Pendant ce temps, plus bas, Satori faisait des mimiques discrètes, ajoutant par le langage des signes une requête visant à récupérer le drôle de gadget à l'oreille du garçon.
Après avoir retourné tout le domaine, il tombait enfin sur celle qui s'appelait Suzuri Takara. Elle n'avait pas l'air méchante hein, mais elle faisait un peu stricte quand même. C'était un peu la faute de Kan aussi, il avait déboulé de nulle part, sans invitation et sans prévenir. Ils ne se connaissaient pas du tout, et il venait lui demander son aide ? Dit comme ça, il se rendait compte à quel point c'était culotté. Et sur le moment, il se sentait un peu con. C'était pas une bonne idée après tout. Fixant ses chaussures, il hésitait presque à partir en courant.
- Euh, o-oui... Meikyû Kaito...
Mais maintenant qu'il avait fait tout ce chemin, il ne pouvait pas partir sans au moins avoir essayé. Et puis elle n'avait pas l'air si inapprochable que ça au final, cette Takara. Elle était même plutôt jolie pour son âge. Et comme le disait le proverbe : "Les copains de mes copains sont mes copains" ! Alors ça ne pouvait pas mal se passer ! Il s'inclina très bas pendant quelques secondes, avant de se redresser droit comme un i, la tête haute et le regard décidé.
- Enchanté Madame Takara-sama, merci de me recevoir ! Je suis Kao Kan, Genin de Kumo et je suis en plein apprentissage du Fuinjutsu !
Les bases étaient posées.
- Et euh donc, comme je disais... je suis copain avec Kaito-san, et on discutait un peu, et puis il m'a dit que vous étiez super forte en Fuinjutsu... Et donc je me demandais si euh... vous pourriez m'aider aussi...
A nouveau, sa résolution s'évanouissait dans les airs. Il était toujours très motivé bien sûr, mais c'était un peu compliqué dans une situation pareille. Il se pencha à nouveau, les mains sur les cuisses et les yeux fermés très fort.
- S'IL VOUS PLAIT !
Puis il se souvint de la petite. Toujours penché, il la vit lui faire des signes bizarres. Au moins les enfants, c'était facile de leur parler. Il s'agenouilla pour se mettre à sa hauteur.
- J'ai quelque chose à l'oreille ? Oh...
Sentant effectivement quelque chose d'étrange marcher derrière son lobe, il attrapa délicatement la petite bestiole et l'enferma dans ses deux mains. Il les ramena entre lui et la petite, puis les ouvrit délicatement pour libérer l'insecte.
- Oh, c'est une coccinelle arlequin ! C'est sûrement celle qui était dans la flaque tout à l'heure, je l'avais mise sur mon bras pour qu'elle sèche ses ailes en toute sécurité ! Mais elle a dû se balader un peu...
Et comme si elle avait compris qu'elle était au centre de la discussion, la petite coccinelle s'envola.
ATTENTION ELLE S’ÉCHAPPE! Beuglait Satori en claquant les mains dans l'air, ratant sa prise. Bien que l'envie de tuer n'était absolument pas présente, le stress de voir l'insecte disparaître lui avait intimé ce réflexe assez maladroit... Quoiqu'il en soit, elle courait désormais après la bestiole, quittant la pièce.
De son côté, Takara réfléchissait un instant, satisfaite de voir sa filleule s'éloigner mais toujours légèrement désappointée face à cette requête soudaine. Il y avait une différence absolue entre étudier un cas exceptionnel puis livrer une expertise à quelqu'un, et donner un cours à un genin. Peut-être que pour eux, cela ne faisait aucune différence, or à ses yeux, cela n'avait rien à voir. Elle ne travaillait pas à l'académie de Kumo, ne se faisait pas à l'idée que de si jeunes garçons soient si prompts à développer leurs arcanes afin de livrer bataille à tout va. Devait-elle contribuer à ça ? Indirectement, elle l'avait fait plusieurs fois. Avec Hiko, et plus récemment Kaito. D'ordinaire, elle n'apprenait pas les sciences de la guerre mais plutôt celles élémentaires sur les lois de ce monde et les conséquences ou possibilités du chakra - Ou même encore, l'approche de la vie. Par l'organisation de sa journée, le travail quotidien et consciencieux y compris dans la cuisine, de la méditation... Comme il y a des années de cela, où elle avait été en charge de son jeune cousin qui l'avait rejoint à sa maison de Teitetsu.
Elle n'était pas une professeur à proprement parler. Sa philosophie et son sens du détails exaspérait d'ailleurs souvent les shinobi les plus simplets dans leur approche du chakra. Alors ce jeune garçon... que voulait-il ? Qui était-il ? Son enthousiasme ne suffirait pas à apporter la moindre réponse.
Pourquoi voulez-vous en apprendre plus sur le Fuinjutsu ? Soufflait-elle, neutre.
Une réticence affichée, qui par ailleurs n'épargnait personne. Du moins quiconque ne cherchant qu'à devenir plus fort au mépris de tout le reste. L'Art des Sceaux dans sa base initiale représentait un aspect pratique tout à fait légitime. Mais plus on le développait, plus on accédait à des possibilités très pointues voire dangereuses - Dire qu'il ne fallait pas le mettre entre toutes les mains serait un euphémisme. Comme tous les arts ninjas ne le devaient pas, mais l'étaient déjà.
Être recommandé par Kaito ne représente rien à mes yeux... Son cas restait exceptionnel. Mais je ne suis pas certaine de vous être d'une grande utilité, nous ne partageons pas la même voie.
Evidemment, si ce juvénile entreprenant courrait après l'acquisition de techniques, il était mal tombé. Autant la Suzuri pouvait lui présenter des artifices à foison, autant elle n'y trouverait aucun plaisir ni intérêt. Les réflexions sur l'essence de la vie et du chakra l'animaient d'avantage, et en ce sens le Fuinjutsu se reliait par de nombreuses cordes sensibles à de telles thématiques. Mais l'usage simpliste qui en découlait dans les mœurs shinobi ? Sans façon. Il s'agissait de la partie la moins intéressante ou instructive de cet Art.
Kan avait totalement blêmi en voyant la petite fille essayer de rattraper la coccinelle en claquant ses mains, mais il se retint d'intervenir ou de dire quoi que ce soit, priant seulement pour que le petit insecte s'en sorte sain et sauf. Mais maintenant qu'elle avait quitté la pièce... Kan se retrouvait seul avec dame Takara-sévère-sama. Et le silence était pour le moins angoissant. Il avait l'impression d'avoir été attrapé en faisant une bêtise et attendre de connaître la punition.
Et quand elle reprit la parole, ce fut pour poser une question pour le moins... intéressante. En fait, Kan ne s'était jamais vraiment posé la question tant la réponse lui semblait évidente. Du coup, il répondit du tac au tac, sans forcément réfléchir.
- Bah, parce que c'est trop intéressant les sceaux ! On peut faire plein plein de trucs différents avec ! Mais en même temps, c'est super compliqué... C'est difficile d'apprendre juste avec des livres. Et puis à l'Académie, on a pas eu beaucoup de cours dessus. Enfin, pas assez ! Pour l'instant, je sais juste sceller des p'tits trucs.
Est-ce que c'était le genre de réponse que la Suzuri attendait ? En voyant l'expression sur son visage lorsqu'elle lui avait posé la question, l'enthousiasme de Kan était redescendu d'un cran. Evidemment, elle ne pouvait pas se montrer chaleureuse à chaque fois qu'un idiot s'infiltrait dans le domaine pour la harceler. Enfin, ça dépendait de la personnalité de chacun... Kan était toujours content de recevoir de la visite.
Être recommandé par Kaito était un grand mot cependant ; c'était plutôt le contraire, c'était la dame qui avait été recommandée. Mais un autre le détail attira son attention avant qu'il ait le temps de le notifier. Apparemment, Takara-sama et lui ne partageaient pas la même voie ? Qu'est-ce qu'elle voulait bien dire par là ?
- La même voie ? Vous voulez dire... uh...
Il réfléchit un instant, puis donna la seule réponse qui lui vint en tête.
- Parce que je suis Kumojin et que vous êtes de l'Empire ?
Il avait beau faire partie de la Résistance, il ne voyait cependant pas le besoin de séparer les gens selon leur allégeance. Mais il y avait beaucoup de choses que l'Electrique ne comprenait pas...
Spoiler:
Si y'a 0 moyen que Kan sache que Takara est dans l'Empire, dis-moi et j'edit o/
La trentenaire soupirait intérieurement. Non pas qu'elle manquait de patience ni même de bonté... Mais bien évidemment, c'était le fond qui la heurtait. La symbolique derrière cette situation pour le moins coquasse. Si elle ne condamnait pas réellement ce jeune garçon naïf, elle maudissait de tout son être le système shinobi qui créait ce genre de scénario attristant : Un enfant-soldat abordant les arts militaires tel un jeu. Une curiosité qui s'étalait sur des thématiques délétères, entre de mauvaises mains. Et ces petites mains qui tenaient tantôt une coccinelle se serviraient bientôt du fuinjutsu pour livrer bataille, sous couvert de pensées politiques qui les dépassaient sans doute profondément. La plupart des guerriers commençaient par s'approprier des valeurs sans réellement les comprendre ou les creuser, puis passaient le reste de leur vie à les justifier par des couches successives de puissance perfectionnée par leur usage du chakra. Shuuhei n'était pas plus sérieux que ce jeune garçon, dans le fond. Lui-même étant un grand gamin, ayant fait honneur à ses responsabilités selon les codes de la bien-pensance ; autrement dit en s'imposant par la force et le style, draguant des minettes et commettant un massacre à l'étranger. Un agneau au quotidien, un lion sur le terrain. Et autant de mains sales ou ensanglantées pour l'applaudir. En bouquet final, une passage de pouvoir pour le moins "impériale" à une sœurette bien plus dévastée psychologiquement que n'importe quel autre prétendant potentiel.
Takara digérait ce fait. Le comprenait, le condamnait de moins en moins verbalement, plutôt par dépit qu'autre chose. Mais de là à l'encourager en enseignant elle-même à n'importe qui ?... Le devait-elle ? Le pouvait-elle ?
Heureusement, la dernière phrase de son interlocuteur lui arrachait un léger rire.
Non... ça, ce n'est que futilité. Tranchait-elle, se moquant bien de la distinction entre deux dogmes militaires, qui faisaient assez parler comme ça, et pour finalement bien peu d'introspection. Mais peu importe. Le Fuinjutsu est un art qui tend vers l'infini. Mais pour cela il implique une analyse très approfondie et assidue. En terme pratique récurrent, c'est donc normal qu'il s'en tienne au stockage de "petits trucs"...
Cela dit, contrairement à tous les autres Arts, la lecture est fondamentale concernant les sceaux et on se doit de connaître par cœur chacune des bases les plus simples afin d'en développer des plus aboutis. La Grande Bibliothèque regorge de recueils à ce propos. Je n'ai pour ma part rien à vous apprendre. Actuellement, vos motifs sont inexistants.
Des mots choisis, bien que durs. Elle ne se voyait pas prendre sur son temps afin de lui enseigner les bases d'un art qui sera certainement utilisé à tord. Non pas qu'elle attendait une contrepartie, mais à l'inverse, cela semblait lui coûter moralement parlant. Ce garçon ne semblait pas animé par cette flamme qui caractérisait par exemple Hiko, et son intérêt trop insouciant ne plaidait pas non plus en sa faveur. La Suzuri ne récompenserait pas une curiosité aveugle.
Son regard de jade s'égarait tout en dévisageant le garçon. A peu de chose près, elle se serait excusée pour ce refus. Pourtant il n'y avait pas de quoi.
Maintenant qu'il avait répondu, il n'avait plus qu'à attendre la réaction de Takara-sama. Il ne savait pas vraiment s'il avait donné la bonne réponse, il avait seulement dit ce qu'il pensait. Mais peut-être qu'un peu de réflexion lui aurait profité. Répondre avec son cœur n'était pas toujours la bonne solution. Mais est-ce que la situation aurait été différente dans ce cas ? Ou est-ce que la Suzuri avait pris sa décision bien avant qu'il n'ouvre la bouche ?
Il regarda ses chaussures. Il n'avait pas compris parfaitement tout ce qu'elle avait dit, des mots de personne âgée certainement. Mais il avait bien compris quelque chose : elle avait refusé. Rien qu'au ton de sa voix, l'issue de la demande ne faisait pas de doute. Il n'était pas assez bien.
Il était pourtant habitué à être rejeté, mais l'expérience ne l'aidait pourtant pas à gérer la douleur. Parce que si un simple refus de ce genre était une futilité pour la majorité des gens, c'était beaucoup plus important pour le petit Kan, trop sensible pour la plupart des expériences de la vie. Serrant les dents, il tenta quand même de faire bonne figure.
Elle avait eu toutes les raisons du monde de le refuser : elle ne le connaissait pas et il débarquait chez elle sans prévenir, ça avait déjà mal commencé de base. Mais sa réponse n'avait pas été convaincante. Et même s'il le comprenait, ça faisait quand même mal. C'était facile d'être déçu quand on faisait trop confiance aux autres personnes... Peut-être que ça lui servirait de leçon pour l'avenir ; peut-être pas. Ce n'était pas son coup d'essai et pourtant il continuait à être nonchalant sur ces aspects, étant pourtant le seul à en souffrir.
- Merci de m'avoir reçu et pardon de vous avoir fait perdre votre temps, Takara-sama.
Il s'était incliné et la buée qu'il essayait de repousser depuis le début avait fini par se déposer sur ses yeux. Elle avait eu raison de le rejeter. Qu'est-ce que c'était, un shinobi qui se mettait à pleurer après avoir essuyé un refus de la part d'une inconnue ? Il n'était pas à la hauteur pour ça, il n'avait pas les épaules. C'était pour les mêmes raisons qu'aucun sensei ne l'avait accepté.
Après s'être excusé encore une fois et sans montrer son visage, il avait rapidement pris la direction de la porte. Sortir le plus vite possible, ne croiser personne, rentrer à la maison et se mettre en boule dans son lit. C'était la seule chose qui lui restait à faire.
Spoiler:
Merci pour le rp !
Faire de la mosaïque sur sopalin [Suzuri Takara-sama-san]