Plusieurs jours s’étaient écoulés. L’hiver continuait de faire danser des courants froids dans la cité de Kumogakure et s’étirait jusqu’au dehors des murs qui ceinturaient celle que notre protagoniste aimait encore à appeler Shitaderu, en mémoire du nom historique de celle qui fut le prologue de sa propre défiguration, elle qui jadis avant de n’être qu’une cité militaire avait l’étoffe de la cité des Sciences ; ce qui, intimement, semblait au pèlerin du Teikoku bien plus élogieux que ce vulgaire titre de « village caché ». Le pays de la Foudre empruntait son nom à l’élément le plus visible et le plus dangereux du ciel. La Foudre était lumière, bruit, puissance à l’état brut. Pourquoi donc se contenter d’un « village caché sous les Nuages » ? Pourquoi ne pas redevenir la prestigieuse cité des Sciences ou bien même la cité de l’Orage pour se conforter dans l’image redoutablement électrique des habitants du Kaminari ? Ces réflexions perlèrent dans son esprit comme des gouttes de sang par l’entaille faite par la pointe d’un couteau.
Ce jour, pourtant, qu’il se faisait la réflexion que l’orage ne régnait pas assez autour de Kumogakure, quelque chose ne devait pas se dérouler selon les ambitions du Shinrin. Le Lieutenant avait choisi, pour ne pas trahir son identité, d’établir un bivouac en dehors de Kumogakure ; là, les membres de sa section pouvaient le retrouver. Dans sa vision des choses, son adversaire immédiat, Taizen Jiguro (le Capitaine de sa propre Unité qu’il voulait destituer de son titre), avait en toute logique fait la même chose. Mais en dépit d’avoir lancé les cervicales à sa recherche, il n’avait récolté que de quoi sustenter des doutes, mais pas de stratégies dignes de ce nom. Jiguro attendait la faute. Tout comme lui. Et la faille serait, à n’en point douter, humaine…
« Mon Lieutenant. »
Allongé sur une branche d’érable en hauteur, l’indiqué se redressa. Ses pupilles rubicondes cherchèrent un instant d’où venait cette voix, tel un cerf tentant de débusquer le tigre tapi derrière les taillis. Finalement, il décela une forme qui se détachait d’un arbre.
« Quatre. - Sept. »
Le total faisait Onze. Le nombre qu’avait choisi le Monarque des Bois pour s’assurer de la fiabilité de ses visiteurs. Comprenant mutuellement qu’ils étaient dans le même camps dès lors que ce mot de passe, par complément additionnel, était exact, le fils du clan Shinrin décida de laisser cet homme approcher son périmètre un peu plus proche. L’ambiance était noire. Aussi noire que ses mèches couleur de jais. Aussi noire que son âme. Avisant que la visite n’était pas hasardeuse, il posa sa main sur sa lance qu’il avait posé sur son ventre, et qui désormais depuis qu’il s’était dressé reposait au niveau de sa ceinture. Il avait interdit qu’on l’approche sans raison précise, de peur qu’on ne décèle sa position à cause de ses propres hommes. Il ne faisait dès lors aucun doute que quelque chose avait poussé celui-là à, d’un certain point de vue, désobéir.
« Retire ton masque. - Si fait. »
L’inconnu qui effectivement portait un faux visage confectionné par le Monarque des Bois lui-même se plia à la volonté de son supérieur, et ôta ce qui empêchait de découvrir sa réelle identité. Shinpachi avait élaboré deux masques de bois pour chacun de ses hommes ; il suffisait d’alimenter un petit flux de chakra pour que chacun d’eux colle bien à la peau. Mais il n’était pas assuré du reste que l’un d’entre eux, pour le trahir, ne vole le masque de l’un de ses associés ; même dans sa propre section, la méfiance était la seule arme qui leur permettrait de durer.
Celui ou celle qui se dévoila était un mystère pour son commanditaire. Malgré ses sens affûtés, Shinpachi était incapable de dire s’il s’agissait d’une femme ou d’un homme ; et le petit sourire subtil qui s’attardait aux commissures de ses lèvres révélait une malice qu’il redoutait. Des six soldats qu’il avait sous ses ordres, celui-là était celui qu’il craignait le plus. Et pourtant, c’était bien le pire qui se présentait à lui. Par instinct, il resserra sa prise sur sa lance et lui jeta des yeux sauvages, accusateurs. L’homme ou la femme qui se tenait au pied de son arbre joignît ses mains, le poing dans la paume, pour le saluer, et inclina sa tête en guise de respect. Le Lieutenant dût lâcher son arme pour lui rendre ce mouvement symbolique mais, dès lors que son interlocuteur releva la tête, il reposa ses doigts sur le bois de sa longue perforatrice.
« Qu’est-ce qui t’amène à prendre ce risque ? - Mon Lieutenant, veuillez me pardonner d’avoir désobéi en venant vous rencontrer. L’affaire que je porte à votre connaissance est des plus préoccupantes. Les faits me semblaient assez grave pour que je daigne faire une entorse au règlement. Tous les autres sont déjà au courant. Punissez-moi si cela est votre désir… »
Un long moment de silence plana. Shinpachi prit le temps de reposa sa tête sur son poing, qui vint soutenir le poids de son crâne du côté gauche. Sa main droite, quant à elle, restait bien en place sur son arme. Les secondes s’enchaînèrent lentement tandis qu’il observait sa loyale cervicale. Il prenait le temps de la réflexion. Un temps nécessaire pour choisir, et décider de la sentence.
« Poursuis. »
Ce fut un soulagement pour son soldat. Certes ne devait-il pas crier victoire trop vite ; mais au moins s’était-il épargné une mort immédiate. Ses lèvres restaient toujours marquées d’un sourire en coin qui semblait être imprimé sur son faciès.
« Merci pour cette grâce, Mon Lieutenant. Voici les faits : nous avons retrouvé ce matin le cadavre de la Murène. La dernière zone connue de notre camarade se situait à Nord-Est de Kumogakure, près d’un petit ruisseau qu’il avait décidé de remonter. Il nous est difficile de pouvoir situer précisément l’heure de sa mort, car son corps a été brûlé vif, nous supposons, par immolation. Des oiseaux charognards ont ensuite picorés le cadavre ; n’ayant plus d’yeux et son visage défiguré par les coups de bec et les morceaux de chairs arrachés, nous avons même eu certaines difficultés à l’identifier. Nous supposons que la mort est encore assez récente, sans doute un peu avant l’aube. Puisqu’il était parti en mission hier matin, il est envisageable qu’il ait été torturé et que certaines informations à notre sujet fussent révélées. »
Shinpachi écarquilla les yeux.
Dernière édition par Shinrin Shinpachi le Sam 16 Mai 2020 - 11:20, édité 2 fois
Une charogne de carbone piquée par les vautours. Ce qu’il restait de la Murène n’était rien d’autre que le spectacle attristant d’une mise à mort par le feu. Récupéré proche du ruisseau auquel on s’attendait à le trouver, la Murène avait semble-t-il succombé à son immolation avant que d’être picoré, et on l’avait laissé là soit après l’avoir torturé, soit de façon immédiate. Détail qu’il ne convenait pas d’ignorer. Car dans le premier cas, la Murène avait peut-être révélé certaines informations cruciales : le nombre de cervicales, le protocole employé par le Lieutenant, les zones des patrouilleurs et surtout, la position du bivouac de leur chef ; la sienne, en l’occurrence. La mort de la Murène était par défaut synonyme d’embuscade ou de sabotage. Conventionnellement, il ne pouvait pas se permettre de mettre ce meurtre sur le dos de Jiguro – ironiquement, ce dernier pouvait toutefois fort bien être le commanditaire de cet assassinat. Les circonstances de la mort de la Murène restaient donc un mystère fondamental à élucider et le Shinrin ne se faisait pas de doutes quant à une chose : le responsable de ce meurtre reviendrait sur les lieux du crime, tôt ou tard. C’était une sorte de loi avec une force magnétique pour celui qui s’aventurait dans ce genre de précipices du délit.
Restait à choisir la riposte. Fallait-il tendre une embuscade ? Ne seraient-ils pas piégés en voulant le faire ? Shinpachi n’avait aucun doute quant au fait que Jiguro ne laisserait pas la place à la moindre faille dans sa stratégie. Il avait pris l’avantage de la situation ; peut-être était-il même déjà vainqueur sans avoir eu à trembler, en ayant effacé l’un des soldats du Shinrin - encore pire si sa victime avait craché quelques secrets. Tous les éléments semblaient en faveur du plus ancien des deux stratèges. Comment retourner la situation ? Comment récupérer du terrain sur son Capitaine ?
Réflexion. Dans sa tête s’étendirent des campagnes d’hypothèses, des étendues de conséquences possibles, des labyrinthes de chemins de torture et des kilomètres de vallons périlleux. Un doute persistant continuait de faire naître tant de remords que de frissons d’excitation. Il ne lui restait que cinq soldats, peut-être déjà tous connus par son antagoniste ; le message secret qui leur garantissait de se reconnaître avait potentiellement été divulgué ; sa position était possiblement connue. Tant de choses qui acculaient ses solutions au fond d’un abîme dans lequel dansaient les oriflammes de la défaite et du désespoir. Jouer aux échecs sans sa Dame et ses Fous. Tenter le diable. Torture. Tourmente. Tempête.
S’étant installé temporairement dans le bosquet d’une vallée à deux heures de marche de la cité cachée du Pays de la Foudre, le Lieutenant, escorté par son soldat et ayant traîné avec lui la carcasse méconnaissable de leur ancien compère, continua de détailler les plaies et les brûlures de feu l’honorable membre du Kotsuzui. S’ils avaient pu récupérer le corps de la Murène, et si Jiguro était son assassin, c’est qu’il y avait une leçon à comprendre. Le Capitaine était trop intelligent pour laisser négligemment traîner les indices de son crime ; à moins que de vouloir laisser un message, de vouloir le provoquer, de lui tendre un piège ou pire, de lui offrir des indices. Le Monarque des Bois s’enfonça dans la réflexion tandis que devant ses iris érubescentes, son soldat décortiquait chaque plaie, soulevait, ça et là, les morceaux d’herbes ou de terre qui encombraient les chairs et donc les indices possibles sur les circonstances de la fin de la Murène.
Puis, avisant approfondir le problème, le Lieutenant livra à son soldat une intrigue ; mais dans la tonalité qu’il employa, il y eût comme un zeste de sournoiserie.
« Que sait-on de la Murène ? - La Murène était un brave homme, fidèle et voué à l’Empire. Je crois que c’est sa mère qui la première a versé dans les arcanes ninja, tandis que son père est fermier. Il a deux filles, dont la plus grande semble vouloir suivre ses traces. Sa femme, elle, travaillait dans le commerce mais est tombée gravement malade par suite de son second accouchement. - C’est triste… ses filles vont sans doute apprendre une des plus grandes leçons que la vie peut donner : lorsque personne ne nous arme contre le destin, il convient de s’emparer soi-même de ces armes. - Vos réflexions sont profondes, Mon Lieutenant, mais sauf le respect que je vous dois je ne crois pas que cela nous avance quant au problème que nous rencontrons à présent. »
Shinpachi marqua une pause en continuant d’observer le cadavre, approuvant d’un petit son de gorge la remarque de son soldat, et ne lui tenant pas rigueur pour autant de ce manque de tact.
« Si tu devais tuer quelqu’un, quelles seraient les bonnes raisons pour lesquelles tu laisserais le cadavre accessible à ceux qui naturellement envisageraient de te poursuivre ? - C’est une question bien étrange… peut-être notre assassin a-t-il décidé de jouer avec nous ? Ou alors, veut-il laisser un message ? Qu’en pensez-vous, vous ? - Rien n’a été laissé au hasard. Si nous avons retrouvé le cadavre de la Murène là où il était censé se trouver, c’est pour une bonne raison. Quelqu’un qui voudrait camoufler son crime aurait cherché à faire disparaître ses traces. Là, c’est autre chose. Notre assassin a voulu que nous découvrions son œuvre ; ou alors, il a fui. La première hypothèse me semble toutefois être celle qui mérite le plus d’être étudiée. Résumons : la Murène patrouillait en remontant le ruisseau. Il a été découvert ou il est tombé sur quelque chose de compromettant, et a été éliminé. Il s’agit donc soit d’un tueur qui a jeté son dévolu sur lui, soit d’un tueur qui a voulu protéger quelque chose. - Vos déductions, jusque-là, me semblent plausible. Peut-être a-t-il mis la main sur des Résistants ? - Oui, sans doute. »
Il n’y croyait pas une seconde. La Résistance n’avait rien à voir là-dedans. Certes l’hypothèse n’était certes pas négligeable ; mais aux dernières nouvelles, la Résistance ne voulait pas se faire voir de la sorte. Et puis, la Murène aurait eu le temps de fuir. Sur ce corps, il n’y avait aucune trace de lutte ou de retenue ; rien que les picorements, et le feu. Comme s’il était tombé dans les flammes. Un piège. Il ne s’était pas attendu à être tué.
Mais le Lieutenant ne pouvait révéler ses véritables opinions. Car en face de lui se tenait peut-être un traître.
« Le Feu est un message. Notre assassin aurait pu tuer la Murène de n’importe quelle manière, mais il a choisi les flammes. Alors, je suis sûr d’au moins cela… »
Il observa l’horizon.
« … le Feu est un message. »
Désarticuler la nuque pour faire tomber la tête [solo]