Entre son voyage à Hayashi no Kuni, où il avait représenté l’Empire dans un Sommet des Shinobis qui ne serait plus secret pour très longtemps, et son retour à Kumogakure no Satô pour mettre en place le plan de libération, Kaguya Kôsuke avait passé trop de temps à l’extérieur des terres du Feu. En l’absence de son Empereur, le porte-parole se devait d’être là pour le remplacer. Et cela devait se traduire par une présence régulière et forte au sein de la capitale et du pays.
C’était la principale raison pour laquelle parmi tous les enjeux actuels que le Teikoku avait à affronter, le Guerrier Ecarlate ne se voyait pas repartir à l’étranger. Sa place était ici, à Urahi et ses alentours, pour veiller à ce que l’Empire du Feu prenne à jamais la voie de la grandeur.
Les nouvelles règles de la hiérarchie, plus dures, avaient été communiquées à tous les rangs impériaux. Certaines tâches avaient même déjà été engagées. Si certains doutaient encore de la légitimité du porte-parole à prendre des décisions en l’absence de celui qui l’avait nommé, le concerné n’en avait que faire. Sa seule préoccupation était de faire de l’Empire du Feu une puissance aussi forte qu’implacable. En ce sens, il s’entraînait lui-même jour après jour, combattant parfois d’autres soldats.
Mais ce n’était pas pour un combat que le Kaguya avait tenu à aller à la rencontre de Nara Kansei. Au contraire…
« Nara Kansei, j’espère que je ne vous dérange pas. Kôsuke. On m’a dit que je pourrais vous trouver ici. »
Un restaurant avec parmi ses spécialités un bol de nouilles au bœuf. Conscient de la place libre qu’il y avait à côté de son interlocuteur, Kôsuke n’hésita pas à faire un signe de main au chef pour passer commande.
« Des nouilles du chef ici, s’il vous plaît. Et de l’eau. »
En s’asseyant à la table de Kansei, le porte-parole ne pouvait néanmoins aller à l’encontre de ses habitudes. Homme de terrain, direct et avec un franc-parler réputé, le Kaguya ne souhaitait pas perdre de temps ni en faire perdre au Lieutenant manipulateur des ombres.
Il le regarda et tint ainsi à entrer directement dans le sujet, à savoir le dernier grand voyage que son comparse avait effectué.
« J’ai lu votre rapport à l’Empereur sur la situation à Ame no Kuni. J’y suis moi aussi allé pour signer un traité d’alliance entre l’Empire et le Daimyô. Mais j’ai repoussé l’échéance, cet homme me paraissait trop malhonnête et refusait de prendre une part de responsabilité sur les malheurs de son pays… »
Le rapport de Nara Kansei, alors missionné par Yamanaka Rei lui-même, était des plus révélateurs. Mais en shinobi de terrain depuis son plus jeune âge, le Guerrier Ecarlate aimait voir ces choses là avec une approche plus réelle. Et quoi de mieux que de rencontrer le concerné pour cela…
On lui apporta son verre d’eau, dont il but immédiatement une gorgée après avoir salué de la tête la serveuse. Il reporta son attention vers le Lieutenant.
« La situation là-bas et ce « Seichi », vous en pensez quoi ? »
La Capitale avait des bons côtés, qu’il ne pouvait décemment pas retrouver chez ses anciens pairs kumojins. Parmis eux, la cuisine, riche d’une faune et d’une flore inexistante à Kaminari no Kuni. Le Pays du Feu était riche de friches et de forêts, de bois paraissant inexploré ; en soit, plus sauvage et donc plus propice aux cadeaux de la nature.
Là, attablé à une échoppe qu’il avait visité alors que cet endroit était encore nommé Crépuscule, le Nara dégustait l’un de ces ramens au blé noir et au porc longuement cuit, un thé fumant sur le côté de son bol, le regard perdu sur les kanjis ornant le tissu qui voguait doucement au gré du vent. Mais bientôt on vint le sortir de sa léthargie et quand il détourna lentement la tête, ce fut pour apercevoir un visage qui lui semblait familier et pour cause. Le porte-parole de Yamanaka Rei lui-même venait de pénétrer dans le bouiboui. Coïncidence ? Dur à croire. Et ses mots le prouvaient bientôt. « C’est bien moi, on vous a bien renseigné. »
C’était énoncer l’évidence, à en décrypter les pigments blancs qui composaient le sigle Nara trônant entre ses omoplates sur son haori.
Il laissa l’homme à la crinière de feu commander de quoi se sustenter et même s’installer près de lui en ne donnant aucun signe d’être dérangé de quelque sorte que ce soit. Le dénommé Kosuke semblait n’être là que partiellement pour le plaisir et en théorisant sur les raisons de sa venue, il sirota une gorgée de sa boisson jusqu’à qu’il prenne la parole, là face à lui.
Ses mots ne surprirent pas le natif du Feu qui se contenta de soutenir son regard avec l’air aussi impassible que craquelé d’une certaine curiosité. Son rapport était complet mais il venait tout de même s’enquérir de ses états d’âme, ce qui soulignait un certain intérêt poussé chez lui. Et du professionnalisme. Une bonne chose.
« Je vois. » Il lorgna un instant le morceau de cochon grillé qui suintait de son gras dans le bouillon puis l’écouta toujours aussi calme, jusqu’à qu’on vienne porter à l’attention du Kaguya sa commande. Quand sa question vint interrompre encore une fois le silence, l’Ombrageux attrapa l’une de ses baguettes. Même avec un simple ustensile, on pouvait déceler la maestria de ses mains pour ce genre d’objets.
« Vous parliez des malheurs de son pays. Ils sont bel et bien réels, nombreux, implacables. Ils sont devenus des faits que les habitants doivent endurer chaque jour que les kamis font. Ce que j’en pense, c’est qu’il est intolérable de laisser cela continuer plus longtemps si nous avons les capacités tactiques et militaires d’agir sans nous affaiblir ou laisser un front vide. » Il continuait de tenir le regard de l’homme au bandana aussi noir que ses yeux.
« Pour Seichi, je ne pense pas qu’accorder notre confiance à un groupuscule de criminels au service d’un homme au demeurant légitime s'il en est, soit la solution parfaite. Les informations sur eux se paient cher et sont rares. Mais avec ce que je sais, je dirais que ce ne serait là que faire un pari. Remplacer le mal par le moindre mal. » C’était sa conception de la chose. Fallait-il élire là-bas un Protectorat ? Il n’était ni l’Empereur ni son porte-parole pour en décider.