Il est 15h37, et au sein du campement du clan Shinrin, il fait beau.
Les cigales chantaient tandis que les nabots dansaient. Dans cet opéra spontané de printemps, rien ne venait déranger cet éloge à la nature et la sérénité si ce n'est, le bruit lointain d'un atelier quelque peu bruyant.
Il était menuisier, marionnettiste, raboteur ébéniste. Il fabriquait des lits, portes et buffets. Dans son métier, c'était un véritable artiste. Il posait cloisons, lambris, parquets. Et quiconque passait par là pouvait remarquer dans ses poignées de main, les signes d'un labeur honnête et sincère. Le voyant raboter, il venait à chacun l'envie de caresser le bois d'un admirable grain, et de complimenté l'éphèbe bûcheur.
A la bouche une tige d'écorce de noyer, un crayon sur l'oreille, il sciait, délignait du chêne ou du sapin tandis que chacun venait respirer une odeur sans pareille. Avec admiration ils le regardaient faire, lui qui semblait les ignorer, penché sur l'établi, tandis qu'ils restaient là sans bouger afin de ne pas le distraire. Puis il se redressait, son ouvrage fini, sueur au front.
Et tandis que, le cœur chaud, chacun repartait alors à ses devoirs, seule restait là une pie, observatrice, oscillant la tête de droite à gauche depuis son poste.
"DE LA ME-MERDE !" croassait le piaf.
Indifférent, l'artisan continuait son labeur, dégageant les monticules de poussière que le vent n'avait pas encore emporté. En effet, ce n'était pas la première fois que le mystérieux oiseau vêtu de noir était venu importuner le jeune Hanzō.
"NUL ! NUL ! NUL !" continuait-elle en faisant des allers-retours du bec ne manquait pas de griffer le bois sur lequel il se trouvait.
Depuis plusieurs jours, elle venait, guettait, critiquait, prenant un malin plaisir à décontenancer le jeune homme qui dans ce monde n'avait rien demander.
Laissant éclater une dernière fois son rire de rapace, son devoir fait et se préparant à s'envoler elle ne s'attendait pas alors à voir le jeune Shinrin pris d'une rage soudaine lui foncer dessus, gourdin à la main.
"REVIENS ICI 'CULÉE !" invectivait le berserker manchot.
Jamais il n'avait pris la peine de se demander comment un oiseau pouvait-il lui parler, ou encore pourquoi venait-il ici régulièrement dans le simple objectif de l'outrager de la sorte. Non, tout ce qui lui importait de base, c'était de continuer son ouvrage en paix. Mais aujourd'hui, son but était tout autre : Le déplumer à sec.
S'en suivi alors une longue et haletante course poursuite entre un homme et une volaille au travers de tout le village. Il brisait fenêtre et poteries tentant lamentablement d'atteindre un animal qui était tout simplement beaucoup trop vif et agile pour lui.
"NUL ! NUL ! NUL !" continuait-elle de clamer afin de qualifier les capacités physiques d'Hanzō.
"PUTAIN ! MAIS RESTE EN PLACE 'CULÉ !"
Et tandis que les locaux couinaient de désarroi voyant le soldat fracasser tout ce qui lui bloquait son passage, ils s'amassèrent tous autour de ce dernier afin de le stopper dans sa frénésie. Quelques secondes plus tard, il était paralysé de toute part, agrippé par toutes les mégères du coin et ouvriers qui venaient de réduire à néant sa chance de voir la pie écrabouillée.
"NUL ! NUL ! NUL !" avait-elle exclamer une dernière fois déployant ses ailes à destination du ciel. Elle s'en était allé victorieux, ricanant de son méfait accompli.
Dernière édition par Shinrin Hanzo le Jeu 2 Juil 2020 - 16:20, édité 4 fois
Nous sommes à présent le lendemain, il est 16h48, et tout comme hier, il fait beau à la lisière du village.
Le jeune Shinrin, maquillé de quelques contusions de la veille était là, non guilleret mais tout de même apaisé par le bruit des feuilles balayés par la brise. Il se baladait en quête de tranquillité, de matériaux et de quelques inspirations artistiques. Si le bois du clan représentait la base de ses créations, il trouvait dans la nature sève et excretas qui complétaient son artisanat.
Vaquant d'arbre en arbre, opinel à la main, il grattait, récoltait et piquait ce que la nature avait à lui offrir. Pour un jeune loquace, il n'y avait rien de mieux au monde que de faire conversation avec la muette forêt elle-même.
Parfois, il entendait au loin les discussions des promeneurs qui passaient là, apportant les quelques ragots du coin aux oreilles de l'opportuniste curieux récolteur. Paisible et sans surprise aurait pu être cette petite balade si elle ne fut pas interrompue par une curieuse voix familière.
"Comment on se retrouve, petit pédestre ?"
Surpris, Hanzō explorait alors du regard la cime des arbres à la recherche de la pie qui s'était découverte de sa voix le retrouvant dès lors, perché et scrutant de haut le jeune soldat.
"… ?" "… ?"
Le silence se faisait alors de marbre étonnamment pour la pie habituellement bavarde.
Elle était donc là, laissant son sombre plumage étincelait au gré de quelques rayons de soleil qui s'étaient frayé un chemin au travers du feuillage. Hanzō pouvait alors la scruter silencieusement et remarquait les caractéristiques du rapace qui la rendait si différente de ses congénères. Des quelques mètres qui les séparaient, il se rendait compte que ses gesticulations se cachaient bien de camoufler plusieurs cicatrices et éraflures. Les quelques fissures sur son bec laissaient alors imaginer que l'oiseau n'était plus tout jeune, de même, sa position moins cambrée que ses congénères laissaient transparaître une certaine posture humaine. Observation qui fut complétée par l'utilisation des ailes de cette dernière comme une véritable main lorsqu'elle s'empara d'une branche pour se grattouiller la nuque.
"Mais qu'est-ce que t'es supposé être au juste ?" interrogeait alors Hanzo tandis que, le regard au loin, continuant son grattage la pie lui répondait d'un simple "Meh…"
Suivant le regard du vieil oiseau, Hanzo découvrait alors qu'ils n'étaient pas seuls et que toute une nuée de piafs sombres étaient postés sur les différents arbres, observant la scène calmement.
"Il faut que je t'explique garnement. Je t'observe depuis que vous vous êtes installés et je dois dire : NUL ! NUL ! NUL !"
Ces dernières insultes sonnaient comme ceux d'une mégère atteinte du syndrome de la Tourette. On pouvait comprendre que le piaf semblait comme mué par l'envie irrépressible de proliférer par intermittence des ignominies. Ces tics verbaux étaient en général restreints et étouffés dans son bec, mais quand il s'agissait du jeune homme, aucun contrôle ne semblaient assez tenaces pour contenir cette vague de désapprobation.
"Je me rappelle d'un fougueux, d'un oisillon stimulé par le larcin et la truanderie."
Comme pris d'une certaine honte, Hanzō qui se sentait désormais comme nu face à un oiseau qui connaissait ce pernicieux côté de sa personnalité, ne mouftait point, se contentant de lancer un regard empli de noirceur et d'infamie.
"Et là que vois-je ? Un bon citoyen prenant plaisir à monter des meubles ? ♩ 'Oh, regardez-moi, je monte une chaise pour plaire à la gueuse et lui démonter le cloaque ! ♩"
Quelques gouttes de sueur et un rougissement juvénile se dessinaient sur le jeune soldat. 'Damnation' pensait-il, la pie est donc au courant également pour la gueuse.
Le silence reprenait dès lors sa place après les derniers mots de la pie. Seuls quelques gloussements de sa part venaient accompagner le bruissement des feuilles et c'est dans cette morne ambiance que le Shinrin commençait à intégrer les mots précédemment prononcés.
'Fougueux ?' Après tout, l'oiseau n'avait pas qu'à moitié raison. Il est vrai que depuis la sédentarisation du clan un changement s'était opéré chez le marionnettiste. Il n'avait plus cette joie de vie qui le transcendait autrefois lorsqu'au travers de ses voyages, il pilait et charognait ce que bon lui plaisait. Le désir d'un empire en paix avait adoucit les mœurs du jeune qui devenait adulte, chose qui ne plaisait apparemment pas au maître pie.
"… Tu suis ?"
Hochant la tête, le comportement d'Hanzō n'avait plus aucun tranchant envers son interlocuteur. Même si l'échange ne venait que de débuter, il comprenait à présent l'attitude de ce dernier et c'est sous son regard désapprobateur qu'il faisait à présent face à sa propre honte.
"Tu te trouves sur nos terres. D'ici au pont Araho, nous pies sommes les maîtres des bas cieux. On pille et charogne ce que l'on souhaite. Seule importe la voix de la fourbe rectrice."
Mystérieuses ses paroles étaient aux oreilles d'un jeune homme qui jusqu'il y a quelques jours ne savait pas qu'un piaf pouvait ouvrir sa gueule.
Sortant une clope à moitié entamée et une allumette de son plumage, la pie qui semblait à présent encore plus vieille ne manquait pas de dégager à nouveau quelques invectives étouffées à l'encontre d'Hanzō. Mégot au bec, elle le méprisait à nouveau, ne manquant pas d'afficher des signes de désapprobation patriarcales dont elle avait le secret.
"Le chemin va être long, mais on va peut-être réussir à faire quelque chose de toi si tu daignes à retirer la gigantesque tige que tu t'es enfoncé dans troufignon. On m'appelle Etiennette Kouzou, la magnifique, l'immense, majustueuse et bien entendu, très humble pie. A présent, on est ensemble petit branleur. Si tu te touches pas trop la nouille, on te refera pousser des ailes. Tu signes ?"
A l'orée de la forêt, ce fut donc en ce jour de printemps que Hanzō venait de retrouver un nid. Lié aux pies par un pacte basé sur le larcin et la malveillance, il réapprendrait à partir de ce jour à suivre la voie du vil.
Plusieurs cycles plus tard, le monde ne s'était pas arrêté de tourner, bien au contraire. Le jeune Shinrin avait depuis plusieurs jours quitté son cocon familiale pour une pérégrination aux confins du pays. Accompagné de la matriarche au sombre bec, ils avaient entrepris ce long voyage dans le but de rejoindre le Bosquet Botan (tr: Pivoine), pays des passereaux, empruntant des chemins aussi sinueux que mystiques, traversant forêts denses, montagnes, plaines et campagnes, gravissant des troncs, enjambant des ruisseaux et évitant des tourbières.
Durant cette quête, la pie ne dérogeait pas à l'attribut de bavarde qu'on lui portait, harcelant Hanzo d'énonciation de faits, d'histoires et de leçons en tout genre. Il apprit ainsi qu'il était impossible de rejoindre le Bosquet Botan pour une quelconque personne n'étant pas déjà initiée à son secret chemin ou encore qu'un certain type d'arbre permettait directement aux rapaces les plus petits qui pouvaient s'y engouffrer de faire le lien entre les différents recoins du pays et le si mystérieux fief de leur race.
Plus qu'un simple itinéraire, il comprenait alors que c'était un réel chemin initiatique qu'il entreprenait aujourd'hui lui permettant de rompre les liens nourriciers qu'il partageait avec son clan et de comprendre qu'au-delà des intrigues de shinobis et des guerres fratricides, se cachait un réel monde qui n'en avait cure des humains.
Telle une lourde punition pour lui qui avait décidé de goûter au fruit de l'aventure et sa rude sagesse, il prenait alors conscience de sa propre insignifiance, relativisant sur absolument tout face au tout que composait l'univers. Durant toutes ces années il s'était placé sur son échelle personnelle, attribuant tous ses ressentis, toutes ses croyances sur cette dernière pour la recontextualiser aujourd'hui à une échelle globale aussi écrasante qu'infinie. Sa quête de sens semblait alors vaine, associant ce rien à l'absurdité de la vie et à toute vérité compréhensible, à savoir une négative portée de sa personne sur le monde qui l'entourait. Toutes ses cognitions, tous ses attachements paraissaient alors irrationnels. Famille, patrie, amour, tous ces mots avaient vu le jour autour d'un même concept : celui de sa peur de vivre cette vie vide de sens seul.
Il n'avait ainsi même pas eu besoin d'atteindre la destination tant attendue pour appréhender la bien trop fortuite réponse : Nani mo shinjitsude wa arimasen ; Rien n'est vrai.
Rapidement, il avait intégré la philosophie des pies. A leurs yeux, le sens et la valeur des croyances et des comportements humains et animales n'ont pas de références absolues qui seraient transcendantes. Tout était creux, tout était vide, et dans ce monde qui semblait à présent vide de sens, la seule façon pour l'individu d'échapper au fatalisme c'était qu'il lui donne un sens de lui-même. Car oui, cette négation absolue n'était pas un déterminisme néfaste pour l'homme, bien au contraire, c'était une libération salvatrice : Une fois que l'on a coupé tous les liens qui nous relient aux faux concepts de transcendance, nous sommes libre de donner le sens que l'on souhaite à notre vie, que ce soit dans la simple volonté de profiter des plaisirs irrationnels que nous offre cette vie ou bien que ce soit de sombrer dans l'épicurisme du méfait et de son irrascible jouissance. Telle était ainsi la voie de la pie : Rien n'est vrai, tout est permis.
Même si ses pensées demeuraient embrumées par le poison du nihilisme qui l'habitait à présent, son esprit lui était à présent habité d'un candide sentiment de libération qui lui emplissait le coeur d'une douce euphorie. Alors oui, troublé était-il peut-être, mais heureux il était indubitablement.
C'est le regard porté vers un horizon de nuages qu'il se rendait compte que jamais il n'avait vu aussi beau spectacle que celui de cette nature sauvage et vierge. Il était sur un des pics de ce monde, un des rares endroits où il pouvait surplombé les cumulo-nimbus nacrés qui dansaient au gré de la brise telle un océan de coton. La pie quant à elle demeurait de marbre également, aggripée à son épaule, partageant dans le silence ce moment de pure admiration qui, même s'il n'était guère nouveau pour la matriarche, demeurait captivant.
Le jeune Hanzo prit appui sur ses mains afin de s'asseoir en tailleur sur un lit de caillasse environnant et observer un repos bien mérité. Il n'était pas juste question de reposer ses jambes exténuées mais surtout de profiter d'un instant qu'il ne reverrait pas de sitôt.
Il replongeait alors dans un nouvel élan de relativisme, cette fois-ci bien plus apaisé que le précédent. Il n'était pas à cet instant question de se porter vers l'infinie et cruelle nature de l'univers mais bien l'inverse. C'est en son for intérieur qu'il trouvait halte, se reconnectant avec les différents masques qu'il avait porté au cours de sa vie, se reconnectant avec toutes les facettes de sa propre personne qu'il n'avait pas su aimer comme il le fallait. L'homme en quête de sens comprenait alors qu'il n'était pas question de chercher l'approbation et l'appréciation d'autrui quant au final, il n'avait jamais su faire preuve d'amour pour sa propre personne.
Une larme puis deux, il s'apitoyait timidement d'avoir survécu si longtemps dans cet enfer d'affliction. Il avait vécu sa vie entière à porter sur le monde qui l'entourait une haine qu'il cultivait sur son propre être, ciblant moult individus sans jamais porter atteinte à celui qui l'avait réellement blessé : lui.
De longues heures il était resté ainsi en tailleur dans le bruyant silence que lui apportaient les bourrasques montagnardes. Ses longs cheveux étaient balayés dans le vent retrouvant une liberté qu'ils n'avaient pas l'habitude de goûter tandis qu'il humait à grandes inspirations cet air salvateur qui s'insufflait dans ses poumons, les rafraîchissant de sa brise purgative. Tels des démons exorcicés, les pensées négatives qu'il avait trop longtemps nourris abdiquaient une à une, se laissant filer au vent tandis qu'il ouvrait lentement les yeux avec un regard nouveau : celui de la paix intérieure. Pour autant, il aurait été imprudent de penser que le jeune Hanzo était devenu saint, tant cette quête de sens lui avait substitué son animosité à l'égard de sa propre personne en une virulente véhémence dirigée vers ceux qu'il pourrait considérer comme antagonistes. Car oui, l'homme nouveau intégrait encore plus aujourd'hui que le Teikoku et ceux qui l'habitaient représentaient sa raison de vivre, son attachement aussi irrationnel soit-il à ce monde. Alors ainsi soit-il, sa raison de vivre serait sa raison de mourir.
Les jours avaient filé sans trop accorder au Shinrin et son compagnon oiselet le temps de se prélasser. Mais comme récompense de son pénible effort, c'est en dégageant une branche à l'orée d'un labyrinthe de pins que le jeune marionnettiste pouvait alors admirer un panorama comme il en verrait peu de dans ce monde. Habillé d'un décor féerique, embaumé d'une parfum boisé, ils venaient d'atteindre l'objet de leur destination : le Bosquet Botan.
Il restait donc là, comme paralysé par la fantasmagorie qui se dessinait devant lui, se rendant compte qu'il ne s'agissait pas que d'un simple sanctuaire aux pies mais que nombre de bêtes vivaient ici, épargnés du règne cruel de l'homme. Le brame des cerfs rentrait en communion avec le cancanement des canetons et les jacassements des passereaux maîtres des lieux. Tantôt, le jeune Hanzo était comme happé par l'ombre monstrueuse de rapaces gigantesques qui dansaient dans le ciel grâce à leurs titanesques ailes. Et c'est sous la brise de leur déploiement qu'il esquissait son premier sourire depuis plusieurs jours. Bien que n'était pas fait de plumes et de poils, il se sentait comme chez lui, reconnectant son for intérieur à ce sanctuaire champêtre qui lui procurait un sentiment maternel agréable et confortable.
Ainsi, il se mit sans moufter le moindre mot à traîner son œil ici et là en se baladant dans le bosquet. Fait étrange, nulle bête ne semblait porter la moindre importance au jeune homme, comme s'il était simplement un oisillon de plus parmi toute cette ribambelle d'animaux. Alors il allait ici et là, chapardant un maigre croc sur des fruits géants et puisant quelques onces d'eau dans les pures rivières qui jalonnaient le sanctuaire. Il ne manquait pas d’alourdir sa sacoche des plus belles plumes qu'il pouvait trouver au sol tandis qu'il gambadait à toute jambe, comme délaisser de la fatigue qu'il avait accumulé durant son voyage.
Plusieurs heures plus tard, il se retrouvait là, allongé au sol, le regard rivé vers les silhouettes géantes qui continuaient à voler au ciel.
"..."
Se relevant légèrement, il observait son amie la pie qui l'avait rejoins après les longues heures de détente accordée.
"..."
Elle n'accouchait aucune parole, comme s'ils en étaient revenus à leur première rencontre.
"Arigato, Kousou."
Il avait débité cette palabre comme si elle provenait de ses tripes même. De la voix du jeune homme, on pouvait alors comprendre qu'elle était emplie d'une réelle honnêteté. Il était comme apaisé, réservant tout de même sa folle gaieté par mesure de politesse et bienséance.
"Bien." déclarait la pie. "Bien." répondait le jeune homme du tac au tac, mué par son mimétisme inné.
Et ainsi un lourd silence prenait place dans la petite clairière qu'il squattait, amochant graduellement la complaisance qu'il avait cultivé depuis son arrivé dans le bosquet. S'en suivit un long duel de regard aphone et circonspect. Si la pie semblait armée d'expérience face à cet exercice, ce n'était pas le cas du Shinrin qui lui devenait rouge à vu d’œil tant il ne savait pas quoi penser de ce tourment aussi fortuit qu'inconvenant. Il était gêné, empli d’incommodité, désirant uniquement que cela cesse et que la matriarche daigne lui apporter réponse à cette question qui le taraude : 'MAIS QU'EST-CE QU'ELLE VEUT LA TRUIE A PLUMES ?!'
"Bien." déclarait la pie une nouvelle fois. "Bien." répondait-il de plus belle, avant de regretter sèchement de ne pas en avoir profité pour lui poser une question.
Et sans surprise, c'était reparti pour un mutisme aussi forcé qu'enquiquinant. Mais cet exercice avait ça de bon de renvoyer une nouvelle fois Hanzo à une longue série de questionnement. La pie n'était certes pas bavarde, mais il comptait tout de même résoudre par lui-même le mystère qui tournait concernant ce jeu malsain. Alors, comme motivé par la démarche scientifique, il se mis à jouer le jeu du corvidé, adoptant une posture plus détendue, et déridant son visage, arborant un long et malin sourire, digne de son moi le plus railleur.
"Bien." déclarait le disciple humain.
Il prenait ainsi les devants au désarroi de la pie qui fronçait alors les sourcils, comme surprise par le fait que sa farce n'avait à présent plus tellement d'effets sur le jeunot. Se dépouillant les ailes de son bec, elle effectua quelques bonds autour du garnement avant de piquer un ver qui passait par là et reprendre parole.
"Mpf... L'ancienne n'est pas du même avis que moi tu sais. Elle m'a claqué le cloaque pour t'avoir ramené ici et...." "L'ancienne... ? Et le cloaque... ? Mais je croyais que..." "Trêves de jacassements."
Et comme pris d'une certaine envie que le jeune homme ne finisse pas ses mots, la pie fit vibrer ses ailes, fonçant sur le Shinrin qu'elle entailla profondément au front. Surpris par la vue du sang, il comprenait alors que sans son réflexe, l'attaque de la pie aurait pu lui laisser une belle cicatrice à la gorge. Plusieurs bonds en arrière, il pouvait alors observer l'aile de la matriarche imbibée d'un trait de sang. Elle n'avait pas besoin d'artifice ou d'arme pour commettre son méfait, car c'est à la seule utilisation de ses membres qu'elle comptait combattre le jeune soldat : ses ailettes étaient ses lames. Et telle une harpie, elle reprit son assaut, filant de droite à gauche, oscillant de la terre au ciel, comme portée par une rapidité divine qui lui permettait d'échapper au regard abasourdi et émerveillé du Shinrin. En quelques secondes, il pouvait alors observer les différentes crevasses vermeilles qu'elle venait de lui dessinait dans la peau.
'C'est donc sérieux. Nul mot ne sortait de sa bouche à lui qui comprenait alors l'enjeu du moment. Se mettant en position de combat, il n'allait nullement tenter d'échanger ou de raisonner l'oiseau. Si elle voulait le pugilat, elle avait trouvé en Hanzo un jeune homme motivé à cette tâche.
Le regard luisant, le sourire vilain, kunai en main, il n'aurait aucune pitié.
Les heures passèrent et c'est la bouche grande ouverte que le soldat restait agenouillé devant l'oiseau. Abattu, de maigres inspirations venaient avec grande peine l'approvisionner en oxygène tandis qu'il tentait tant bien que mal de contenir le sang qui coulissait le long de son bras, d'une entaille bien plus profonde que les autres. La pie quant à elle était retranchée sur son arbre, la robe intacte mais souffrant tout de même de l'alanguissement causé par le long et pénible combat qu'ils venaient de mener.
"Dis-moi, petit malin, pourquoi te battre lame en main quand ton art est à la débandade ? Tu ne me fais guère profiter de ton divin spectacle. Où sont tes pantins ?"
Peinant tant bien que mal à contenir un souffle régulier, le jeune Hanzo restait ainsi silencieux durant quelques instants face à l'interpellation de la matriarche qui semblait assommée par l'exténuation.
"Où sont les vôtres, matriarche Pie ?"
La rétorsion sonnait alors comme un gong de surprise pour la corvidé qui semblait comme nue face au jeune homme.
"Quelle sordide ineptie viens-tu d'extirper de tes poumons ?" "Votre dextérité, votre sens de la critique, l’œil que vous portez à mes créations, le soin que vous portez aux pointes de vos plumes, votre amour pour le beau bois ainsi que... votre vision sur ma propre personne. Notre pérégrination m'a permis de mettre en lumière votre dessein matriarche. Je sais tout."
Cancanant de gaité à l'écoute de cette déclaration, la pie ne put s'empêcher d'exprimer une certaine exultation nerveuse tant elle ne s'attendait pas à être débusquée de la sorte.
"Admettez-le, ce concours n'avait que pour seul but que vous nous divulguions notre art dans sa forme la plus pure n'est-ce pas ? Vos pantins contre les miens ?" "Ne te tracasse pas jeune Hanzo, j'en ai vu assez. Je n'ai peut-être pas pu voir ce que tu cachais dans tes sceaux, mais tu m'as révélé la malicieuse et délicate attention que tu portes aux petites choses de la vie. Un détail, des broutilles, c'est avec ces infiniment pluriel et microscopiques choses que nous composons, nous les pies. Nous usons de ce petit monde pour accomplir nos méfaits et vénérer la vie." dissertait-elle tandis qu'elle reprenait pâtes sur le sol, s'approchant à petits bonds du garçonnet. "Tu ne piges pas le moindre de mes mots hein ? Mais qu'importe, tu comprendras un jour. Alors déploie tes ailes, car aujourd'hui tu es des nôtres."
Un monde de plumes enveloppait dès lors le jeune soldat qui se sentait intégrer dans l'ineffable communauté. C'est donc dans l'insignifiance et l'imperceptible monde minuscule qu'il allait œuvrer. Au coin d'une rue, dans la cime d'un arbre, ses larcins se voudraient pour la plupart mineurs mais nombreux. Car c'est là le secret de la vie, être humble et ruser la mort, se déplacer sans être vu et la duper. Et au crépuscule de sa vie, alors le soldat l'accueillerait sur un lit d'or, jonchant cette dernière de haut depuis le pic de sa montagne de trésor. Jeune pie ne volera pas haut, mais dupera longtemps.